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Un chantier du Club : Réhabiliter le politique – La désaffection du Politique

La désaffection du Politique

Martine Peyrou-Teitgen
Membre du Club Citoyens

 

DANS LE CADRE DU CLUB, une commission s’est réunie cette année sur le thème  » Réhabiliter le politique « . Son travail a porté, dans un premier temps, sur les raisons ou les causes de la désaffection des individus vis-à-vis du politique en cette fin de siècle. La commission a jugé intéressant de repartir de la Modernité, mot susceptible de beaucoup d’interprétations, mais qui est peut-être le meilleur  » pour rendre compte de deux siècles d’une Histoire qui n’est pas comme les autres « .

Ce texte est une rapide synthèse réalisée à partir de lectures, pour tenter d’analyser les conséquences qu’a eu la Modernité, sur les  » rapports  » que nous entretenons aujourd’hui avec le politique, pris dans le sens de  » la chose publique « .

La Modernité a bouleversé fondamentalement notre système de croyance, d’appartenance et de représentation et a constitué une rupture radicale avec l’ensemble des manières d’être de l’homme en tant qu’individu, mais aussi en tant qu’homme vivant en société.

La Modernité ne nous a-t-elle pas conduits d’une part à  » l’avènement d’une société autonome qui se donne ses propres lois au lieu de les recevoir d’avant elle ou de plus haut qu’elle -les dieux, les ancêtres, la tradition, plus près de nous l’État- et de l’autre à l’avènement d’individus qui se vivent comme libres et égaux « .

Les valeurs apportées par la Modernité, la sécularisation, la rationalité, la reconnaissance de l’individu en tant que personne, une nouvelle conception de la vérité, une croyance  » aux lendemains qui chantent « … ont représenté d’abord des valeurs de libération et de progrès; valeurs qui ont guidé les grands combats pour la liberté : ceux des libertés individuelles et politiques, ceux des Droits de l’Homme, comme ceux pour la liberté de pensée. Ces combats et ces espoirs ont fédéré l’ensemble des citoyens autour d’aspirations communes qui  » transcendaient  » chacun.

Mais aujourd’hui, passés ces grands combats, du siècle des Lumières au XXème siècle, la raison, les droits de l’individu, la liberté ne peuvent-elles être considérés uniquement comme des valeurs de progrès, quand la rationalité technicienne peut produire des armes capables d’anéantir la planète, quand le droit peut se transformer en de gigantesques appareils bureaucratiques d’État ou lorsque la liberté se réduit à celle passive d’un consommateur  » normé  » et conformiste.

De plus, ces valeurs n’auraient-elles pas enfanté une société  » grise  » où des individus auraient perdu toute certitude commune et tout lien collectif : une société éclatée, morcelée en identités culturelles et en histoires particulières toujours divergentes.

En effet, si l’autonomie individuelle doit être considérée comme une avancée fondamentale dans l’histoire des Droits de l’Homme, cet élément n’entraîne-t-il pas une situation nouvelle, qui bouleverse aujourd’hui la démocratie .

Alors qu’il s’agissait au début de la Modernité de se constituer en citoyen (détachement des particularités privés dans le cadre de l’intérêt général (cf. Rousseau), il s’agit aujourd’hui, pour chaque individu, de faire reconnaître sa particularité, ses  » intérêts « ; cette exigence de prise en compte d’identités individuelles ne devient-elle pas antagoniste de l’inscription dans un collectif ?

Comment peut-on concilier la libre expression des divergences (conflits) d’intérêts individuels, et la nécessité pour une société de se retrouver dans un  » tout  »  ? De plus, qu’est-ce qui permet de rappeler la dépendance de chacun à une société fondée sur des individus indépendants, lorsque que l’État,  » la chose publique  » ne sont plus reconnus pour être au-dessus des  » choses privées  » et que rien n’est plus légitimé pour transcender l’ensemble. Rien ne permet plus une représentation par tous d’une unité, unité encore plus difficile à trouver, lorsque la reconnaissance d’identités plurielles et des libertés particulières est une dimension importante de la démocratie.

 » I’État n’étant plus légitimé pour représenter cette unité, n’aurait il alors qu’à être le garant et qu’à assurer la coexistence de composantes multiples de la société « . Ce qui signifierait que la mise en cohérence d’identités divergentes soit serait confiée à la bureaucratie soit serait régulée uniquement par le  » marché  »

En conclusion, des questions :

-Faut-il se résoudre à admettre que la démocratie se réduise à un aménagement d’un cadre de coexistence minimale, où il reviendra à l’individu et à lui seul de se définir, tout en abandonnant à une bureaucratie ou au  » marché  » l’organisation de cette coexistence ?

Mais  » l’auto-référence  » ne conduit-elle pas à une impasse pour l’individu et pour toute vie collective et pensons-nous comme Louis Durnont que  » tout ordre humain, toute institution, tout jugement exigent une norme extérieure et supérieure. On ne peut pas se débarrasser de toute transcendance, il n’y a rien qui ne puisse reposer que sur soi-même. En particulier toute ordre humain se fonde sur son au-delà « .

De plus, l’abandon à une bureaucratie ou au  » Marché  » ne dépouille-t-il pas les individus de l’usage de leur liberté pour maîtriser le projet de leur communauté politique.

– Ou bien l’idée  » d’un gouvernement en commun  » conserve-t-elle un sens et sur quel fondement commun et supérieur peut-il s’appuyer ?

– Enfin quelle nouvelle modalité dans les rapports au politique peut-on imaginer qui replace l’individu au cœur du système de proposition, de décision et de contrôle ?

Martine Peyrou-Teitgen
Membre du Club Citoyens

Bibliographie consultée :

– Approches de la modernité : Jean Marie Domenach
– Condition de l’homme moderne : Annah Arendt
– Le désenchantement du monde : Marcel Gauchet