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12/11/2012 – Economie Sociale et Solidaire – C E Vincent, C Deltombe

C. Deltombe : Les prémisses de l’ESS sont déjà en usage au Moyen âge (glanage, pacage, affouage…). L’ «associationnisme» se développe au XVIIIème siècle. Cette prémisse du syndicalisme est cassée en 1791 par le décret D’Allarde et la loi Le Chapelier qui interdisent les organisations ouvrières et les rassemblements paysans et ouvriers.
Avec la révolution industrielle qui se développe au XIXème siècle, on assiste à un début de renaissance du collectivisme (Proud’hon, Fourrier, Saint Simon…) et à l’apparition des sociétés de secours mutuel. La révolution de 1848 porte le rêve d’une république ouvrière. La loi Le Chapelier est abolie en 1864. Création du familistère GODIN en 1880. Apparition du Christianisme social qui marque l’ouverture du monde chrétien aux idées socialistes. Création de multiples coopératives au début du XXème siècle. Le Crédit agricole est créé en 1894, la MAIF en 1934. Les Chambres régionales de l’économie sociale sont crées vers 1980.
Les principes de base de l’ESS sont :
• Un pouvoir démocratique des membres qui sont acteurs de l’entreprise
• L’indépendance et un objectif d’éducation et de formation
• La coopération plutôt que la compétition
• Un patrimoine collectif non partageable. Priorité de l’Homme sur le capital
L’ESS représente 12 % de l’emploi salarié, 2,3 millions de salariés dont 200000 dans 60000 associations, plus de 100000 emplois créés chaque année, 53 milliards € de rémunérations brutes.
Il faut distinguer avec J.L. Laville, l’Économie sociale et l’Économie solidaire avec un accent sur la démocratie et un patrimoine non partageable pour la première, une volonté d’alternative économique combative et un accent sur la solidarité pour la seconde.
Certaines pistes actuelles de l’économie solidaire sont les « circuits courts » (AMAP…), le commerce équitable et la consommation responsable, les SEL système d’échanges locaux fondés sur le troc, la finance solidaire (YUNUS).
EMMAÜS se dit dans l’ESS. Une activité économique est toujours poursuivie dans ses Communautés et ses structures d’insertion (Le Relais, les Ateliers du Bocage, Emmaüs Défi…). 270000 t de marchandises sont récupérées parfois en concurrence avec des sociétés privées. Emmaüs pousse donc au renforcement des « clauses sociales » dans les marchés publics pour favoriser les entreprises qui font de l’insertion en France.

C. E. Vincent Emmaüs Défi est né en 2007 une semaine avant la mort de l’abbé Pierre.
La naissance vient de l’opération sur le canal St Martin, Emmaüs étant interpellé par les « Don Quichottes ». La question est qu’il ne suffit pas de loger les SDF. Il faut aussi leur donner du travail.
Depuis 20 ans les centres d’accueil sont dans une logique d’urgence à accueil inconditionnel mais sont devenus de vrais culs de sac. En effet, la loi oblige les SIAE (structure d’insertion par l’économique) à ramener vers l’emploi en deux ans maxi 60% des personnes en insertion pour bénéficier des aides prévues. Les SIAE doivent alors pratiquer un écrémage des candidats à l’insertion ce qui conduit certaines SIAE à embaucher des personnes aptes à retrouver facilement un emploi à l’issue du contrat d’insertion..
Emmaüs Défi est une SIAE mais veut aussi tenter de briser cette logique en innovant pour trouver les moyens de jeter un pont vers les structures d’accueil d’urgence. Emmaüs Défi milite donc pour une évaluation des SIAE à partir de critères autres que le seul retour à l’emploi au sortir du contrat d’insertion.
Grâce à sa nouvelle installation dans le XIXème, elle peut accroître son effectif qui dépasse aujourd’hui 120 salariés dont 90 en insertion. Ces derniers qui sont des gens qui couchent dehors, ne tenaient pas le coup dans le cadre des contrats d’insertion de 20h hebdomadaires ainsi que sont prévus ces contrats dans la loi jusqu’à aujourd’hui. On a créé un contrat à l’heure où l’on embauche en fonction des capacités des gens et non du cadre de la loi. La logique d’adaptabilité du travail demandé ainsi poussée à l’extrême avec un accompagnement adapté à chacun a provoqué un vif engouement chez les SDF, bien supérieur à ce que l’on prévoyait. Elle a tout fait basculer : les gens ne se considèrent plus comme pris en charge. Ils ont un job. D’où un déclic qui fait toute la différence. La vraie difficulté est d’arriver à les sortir de l’ornière sur le long terme. Deux ans ne suffisent pas alors qu’il faut déjà 6 mois pour les sortir de la rue. Il faut tout reconstruire (psy, santé, alcool, communication etc…). les dispositifs existants sont trop cloisonnés pour faire face à des problématiques aussi diverses (Il faut 8 ans pour accéder à un logement face à une durée d’insertion limitée à 2 ans !). D’où la mise sur pied du projet « Convergences » étalé sur cinq ans dont l’objectif est d’adapter et de renforcer l’accompagnement des personnes en « grande exclusion » en coordonnant, autour de leurs besoins, les acteurs du logement, de la santé et de l’emploi.
Pouvoir téléphoner est crucial pour eux. Les gens ne paient plus l’électricité pour garder le téléphone qui est leur dernière adresse. Mais l’heure de connexion à 2€ chez Free n’est pas pour eux car il faut un engagement de 2 ans et une carte bleue. Pour eux l’heure est à 25 €. C’est la double peine avec une dépense de l’ordre de 100 €/mois pour un revenu de six à sept cents €. D’où la mise au point du projet « téléphonie solidaire » avec SFR. Il permet l’acquisition de cartes à 5€/heure (limitée dans le temps) avec un accompagnement individuel pour apprendre à trouver les offres les plus adaptées aux besoins. 2 antennes existent pour 2000 bénéficiaires. On travaille à un changement d’échelle avec traitement de la fracture numérique pour passer à 100000 bénéficiaires. Est-il légitime de travailler ainsi avec une société privée ? On n’est pas dupes de l’exploitation possible d’une telle coopération mais on pense qu’il y a une osmose et que le personnel de la société prend progressivement conscience de ce problème.

Débat

Q1. Les grandes mutuelles font-elles partie de l’ESS ?
R Oui mais plutôt du versant « Économie sociale » de l’ESS. Leur obsession est de savoir si leur fonctionnement est démocratique. Le débat est ouvert mais étroit. Il tranche avec le monde turbulent de l’ «économie solidaire »
S. On mélange effectivement des choses bien différentes : d’une part l’économie sociale (mutuelles, coopératives) avec pour principe « un adhérent, une voix » qui a dérivé vers des logiques capitalistes sous la pression de Bruxelles, d’autre part l’« Économie solidaire » qui est faite d’associations d’entraide.

Q2. Différence entre l’IAE et les communautés d’Emmaüs ?
R. Toutes les structures d’Emmaüs pratiquent l’insertion par l’économique (IAE). Mais les Communautés se veulent principalement des structures de partage de vie entre les compagnons. À la différence d’Emmaüs Défi et des SIAE, elles ne plafonnent pas leur activité à partir des règles de la politique de l’insertion par l’économique (aide à l’inséré limitée à 2 ans, limitation de la part du chiffre d’affaire lié au personnel en insertion etc…) parce qu’elle ne recourent pas aux contrats aidés. Emmaüs Défi permet à des personnes en insertion d’aller dans les Communautés, lieux de rupture de l’isolement. Mais tous ne sont pas adaptés à ce mode de vie.
Q3. Est-il difficile de créer une communauté ? R. Oui. Le développement se fait principalement par filiation à partir de communautés qui marchent bien.

Q4. Attitude vis à vis des étrangers, des sans papiers ?
R. Par définition, les sans papiers ne peuvent bénéficier des contrats aidés. En revanche les communautés accueillent de manière inconditionnelle, et sans contrôle des autorités publiques. De ce fait elles connaissant une grande diversité d’origines, de langues .

Q5. Comment échapper à la privatisation croissante des activités ?
R. On navigue sur une ligne de crête. Le partenariat avec des entreprises privées est possible même si les motivations du partenaire ne sont pas pures. On n’est pas dupes et on ne fait que du gagnant-gagnant. Il y a aussi les ESR (entreprises socialement responsables). On a par exemple un partenariat avec GT location (location avec chauffeur). On leur a proposé de faire des convois vers la Bosnie. Quand les salariés de GT reviennent de ces convois, ils ne sont plus les mêmes. On a un partenariat avec SOMFY (volets roulants. Annemasse) dont le patron a souhaité réunir son comité de direction au sein d’une Communauté. Il faut accepter le pari de la contagion.

Q6. Quelles pistes pour le long terme ? Comment voyez-vous l’évolution du statut des compagnons ? Comment se situe vis à vis du droit du travail le travail à l’heure auquel vous avez recours ?
R. Les compagnons ne sont pas des salariés. Le statut d’OACAS (organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires),voté en 2009, ouvre un droit sui generis de substitution au droit du travail. Il est bien adapté aux communautés et à des compagnons très cassés par la vie. Le taux de sortie d’Emmaüs Défi (ED) au bout de deux ans est proche de 25%, loin des 60% requis pour les SIAE. EDmilite donc pour la modification des critères dévaluation de sortie des contrats aidés. Le projet Convergences tente d’y contribuer. Il entre juste en phase opérationnelle. Il faut consolider en pratique la démarche de mise en coordination des différentes administrations nécessaires à la réparation des handicaps multiples et interdépendants dont souffrent les gens accueillis par ED (DT, Pôle emploi, URSSAF, DDCS, DRIL etc…).
Travail à l’heure ? On travaille avec des équipes de maraude qui rencontrent les SDF. Pas de fiscalité applicable à Emmaüs Défi s’il respecte la règle des 4P sur la « lucrativité des associations de la loi de 1901 (Pour apprécier si l’organisme exerce son activité dans des conditions similaires à celle d’une entreprise, il faut examiner successivement quatre critères selon la méthode du faisceau d’indices : le ”Produit” proposé par l’organisme, le ”Public” qui est visé, les ”Prix” qui sont pratiqués, enfin les opérations de communication (publicité) réalisées).

Gérard Piketty