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10/03/2008 – Autonomie des Universités ? – François Colly, professeur de Droit Public

F Colly

Exposé

Les universités constituent un monde divers en raison : • des disciplines ou intérêts privilégiés par chacune d’elle • du caractère plus ou moins professionnalisant des diverses formations • de la concurrence plus ou moins grande des grandes écoles suivant les disciplines • de l’importance plus ou moins grande de la place qu’y tient la recherche.
En moyenne tous les cinq ans une réforme voit le jour.
L’université de Paris acquière un statut vers 1174 (Philippe-Auguste) qui en fait un modèle pour beaucoup d’autres caractérisé par son autonomie et des privilèges (Elle relève de la justice ecclésiastique). Quatre facultés y figurent (Arts, théologie, droit et médecine). Elles se concentrent sur la transmission des savoirs, la recherche étant le fait des académies savantes.
Exposées à la concurrence des collèges jésuites, très structurés avec des enseignements nouveaux, les universités déclinent au XVII – XVIII ème siècle. Elles sont supprimées par la loi Le Chapelier de 1791 qui supprime les corporations, suppression confirmée en 1793 par la Convention qui ne tolère pas de corps intermédiaires dans la République une et indivisible. L’Empire crée en 1806 une Université impériale qui a le monopole de l’enseignement (y compris secondaire) et est organisée par Académies au plan territorial.
Le 2ème Empire voit un délabrement de l’Université. En 1868 est créée l’École pratique des hautes études par V.Duruy. La défaite de 70 est attribuée pour partie à la faiblesse de la science française face à la science allemande promue par les universités d’où la volonté de la III ème République d’engager un effort important inspiré du modèle prussien avec de nombreuses constructions accompagnées de la création de chaires. Le nombre d’étudiants bondit de quelque 10000 à 17000 !
La loi du 12 juillet 1875 rétablit la liberté de l’enseignement supérieur, tempérée par une loi de 1880 qui donne le monopole de la collation des grades à l’Université. On voit donc apparaître une université dans chaque Académie dirigée par un recteur également responsable de l’Académie tandis que les Facultés qui les composent sont dotées d’un statut en 1885.
1920 voit la création d’Instituts au sein des universités. Parallèlement les grandes écoles se sont développées : Ecole des Mines de Paris (1783) ; Polytechnique (1794) dotée d’un statut militaire en 1805 ; Centrale (1829), école privée léguée à l’État en 1857 ; École spéciale de commerce et d’industrie fondée en 1819 par J.B Say ; création en 1872 de l’École libre des sciences politiques pour renouveler les élites (nationalisée en 1945), d’HEC en 1881 qui devait jouer pour le commerce le rôle de Centrale pour l’industrie.
Après 1945, de nouvelles Académies sont créées. En 1958, Une loi Debré réorganise les études de médecine et crée les CHU.
En 1966, Christian Fouchet crée les IUT pour répondre à l’augmentation du nombre des étudiants et au besoin de professionnalisation. Ils conservent la personnalité morale au sein des universités. En 2006, 125 000 étudiants y sont accueillis pour un cycle de deux ans sur concours à la sortie du Bac. En 1999, une année supplémentaire est prévue pour ceux qui souhaitent acquérir une licence professionnelle. En 2006 plus de 800 licences professionnelles sont portées par les IUT (60% des licences professionnelles existantes).
En novembre 1968, Edgar Faure accorde une autonomie aux universités qui sont dotées d’un Conseil où participent enseignants, étudiants et ATOS plus quelques personnes « civiles » et ont un président ayant pouvoir d’administration et de gestion. Elles doivent être pluridisciplinaires.
La loi Savary de 1984 se situe dans la continuité de la précédente. Elle crée un « service unifié de l’enseignement supérieur » censé rapprocher les différents cursus (universités, grandes écoles, formations courtes). Elle fixe 4 missions à l’université : la formation continue s’ajoute à la formation initiale ; la recherche scientifique ; la diffusion de la culture scientifique et la coopération internationale. Les EPCSC que sont les universités et grandes écoles deviennent des EPCSCP (Ets publics à caractère scientifique culturel et professionnel). Un conseil des études et de la vie universitaire, ainsi qu’un conseil scientifique sont créés à côté du conseil d’administration. Les pouvoirs du président sont accrus.
En 1999, le plan « Universités 2000 » de Jospin permet d’engager beaucoup de constructions, tandis que la loi Allegre de 1999 sur l’innovation ouvre des passerelles plus larges entre labos de recherche et entreprises. Préparée par un projet de Luc Ferry en 2003, la loi de programme du 18 avril 2006 pour la recherche prévoit l’augmentation des moyens budgétaires (6 G€ en trois ans) et un objectif de 3% du PIB en 2010. Elle crée l’agence nationale pour la recherche (ANR), établissement de financement sur programme, ainsi que l’AERES, agence d’évaluation des établissements de recherche, y compris l’ANR. Elle crée aussi les PRES (pôles de recherche et d’enseignement supérieur) et des réseaux thématiques pour favoriser la coopération entre les acteurs de la recherche. L’enveloppe due crédit d’impôt recherche (CIR) pour les entreprises est portée à 1,57 G€ contre 650 M€ en 2004. Enfin la récente loi de 2007 renforce les pouvoirs du président élu sur la base d’un projet écrit. Il peut être réélu pour un mandat de quatre ans. Le CA est réduit à 30 membres au plus (8 à 14 professeurs, 3 à 5 étudiants, 2 à 3 administratifs et des personnalités extérieures : entreprises, CL) soit 2 à 3 fois moins qu’auparavant. Elle prévoit le développement des formations professionnalisantes. Elle systématise la logique contractuelle entre universités au moyen de plans quadriennaux aux résultats évalués par l’AERES. L’université se voit dotée d’un budget global incluant la masse salariale calculée sur la durée du contrat. Elle dispose de plus d’autonomie dans le recrutement du personnel en prenant appui sur un comité de sélection ad hoc pour chaque recrutement de scientifique (50% de scientifiques de l’établissement, 50% extérieur à l’université). Le président peut recruter des contractuels sur avis du comité de sélection. Il peut distribuer des primes etc…L’université acquiert la maîtrise de son patrimoine immobilier et peut créer une fondation pour recueillir des dons ou legs.

Cinq chantiers sont lancés en parallèle par la ministre : conditions de vie, statuts des jeunes chercheurs, carrière des personnels, réussite en licence …

Débat

Q1. La loi de 2007 n’a pas abordé des points forts importants :
1. Celui de la massification des entrées à l’université et de l’échec massif en 1ère année. Faut-il : – restreindre l’accès aux universités ; – ou donner aux étudiants les conditions de la réussite avec l’encadrement nécessaire ; – ou mettre de l’argent des grandes écoles dans le système universitaire.
2. Doit-on restreindre l’accès au doctorat pour préserver les débouchés des heureux élus ou faut-il accroître les débouchés pour les docteurs comme cela se fait ailleurs ?
3. Comment rapprocher davantage les deux systèmes : grandes écoles et universités ?
4. Doit-on continuer à recruter à vie des chercheurs dispensés d’enseignement ?
S. La grande difficulté est de trouver des professeurs également motivés par l’enseignement et par la Recherche et de pouvoir concilier de façon significative les deux activités dans bon nombre de disciplines compte tenu de l’âpreté de la compétition internationale. Par ailleurs, les systèmes d’évaluation privilégient la Recherche au détriment des étudiants. Quant à accroître les débouchés des docteurs, c’est un problème difficile sauf à considérer qu’on augmente, à robinets ouverts, les postes dans la recherche publique.

Q2. Qu’est ce qui fait la différence entre universités et grandes écoles ? Qu’est ce qui empêche l’université d’atteindre l’excellence avec la possibilité d’y entrer automatiquement après le bac ?
S. Les grandes écoles recrutent sur sélection, sont dirigées par un CA peu nombreux composé largement de personnalités extérieures et la discipline y est très stricte. Dans le cas des universités, les personnalités extérieures ne viennent guère aux CA. Elles sont désignées pour embellir la « carte de visite » de l’université. D’ailleurs, pourquoi perdraient-elles leur temps dans des assemblées inefficaces et dotées de peu de pouvoirs ? La nouvelle loi peut changer la donne.

Q3. La professionnalisation semble prendre de plus en plus d’importance. J.P Fitoussi s’en est inquiété et plaide pour une formation générale.
S. Pas évident : le poids des formations professionnalisantes est, de longue date, sensiblement plus important en Allemagne grâce aux universités techniques (Technishe Hochschule). L’on n’y pose pas comme une quasi-norme le fait qu’un bachelier doive intégrer des universités formatées, comme en France, pour produire des enseignants et des chercheurs. Les IUT sont une réussite mais restent, à la différence de l’Allemagne, considérés comme peu « nobles » par les universités et l’opinion. Par ailleurs, il est absurde de simplifier en opposant formation générale et formation professionnalisante. Toutes ces dernières comprennent une part de formation générale. S. La « City » a un nombre important de jeunes qui n’ont pas de formation économique mais qui ont un excellent niveau dans d’autres disciplines (psychologie !!!). En fait, la formation des élites en GB est basée sur une sélection très forte.
S. La médecine est un exemple de formation professionnalisante des universités. Mais pour réussir à passer le cap de la deuxième année et surtout celui de la 6ème année (internat), il faut payer des instituts privés aux étudiants car les professeurs sont dans l’ensemble peu intéressés par la formation.
(Contestation dans la salle)
S. Les professeurs vont donner des cours dans des instituts privés en raison de la faiblesse de leur rémunération de base. L’Université n’arrive pas à payer l’encadrement des étudiants.
S. Ce n’est pas seulement une question de moyens d’encadrement. Hormis la motivation déjà vue des enseignants chercheurs pour ce job, il y a aussi l’état d’esprit des entrants à l’université. Sont-ils prêts à accepter la forte discipline nécessaire ? L’autorité nécessaire à cela peut-elle s’exercer ? Dans la filière « grandes écoles », le choix final de l’étudiant est très tributaire de sa place dans des concours communs à un très grand nombre d’écoles. Autrement dit, de façon générale le jeune étudiant de CPGE n’exprime pas au préalable un choix d’orientation très précis dans un grand domaine donné d’orientations possibles. Le sort jouera son rôle au stade du concours. Le sort joue aussi en fac, mais de façon moins claire avec la sensation trompeuse de liberté laissée à l’étudiant pour jouer du temps et du spectre (très compliqué) des formations.
R. le problème est insoluble : si on fait une sélection à l’entrée en fac, que fait-on des recalés ? Faut-il s’inspirer du système allemand avec moins d’étudiants mais plus de formation continue tout au long de la vie ? S. Ne pas oublier le problème des ressources des étudiants. Les bourses sont insuffisantes pour pouvoir se passer d’un boulot qui peut rendre le travail en fac très difficile. L’État fragilise aussi les hommes en ne payant les vacations que le plus tard possible.

Q4. La loi met l’accent sur l’orientation précoce pour remédier au taux d’échec impressionnant en première année de fac. Est-ce suffisant ? Grâce à de bons conseils, une bonne part de l’élite de l’université passe dans de grandes écoles.
S. Il n’y a pas de collège unique en Allemagne, le problème y est abordé de façon plus précoce…Les universités et les entreprises gagneraient à mieux se connaître… Mais il ne faut pas généraliser : certaines, comme Grenoble, le font et marchent bien…Mais attention aussi à ne pas faire des universités qui dépendent trop des Régions, cela peut être dangereux !
« S » = intervention de la salle.
Gérard Piketty