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09/04/2018 – France et Afrique aujourd’hui – Antoine Glaser

Exposé

Disons d’abord que je ne suis qu’un simple journaliste et non un spécialiste. Il peut donc y avoir une part de subjectivité dans mon propos. Il faut revenir sur la période historique où la France a été « assimilationniste » (1900 – 1969) avec mise en place d’un système intégré cohérent, la création d’une Communauté… illusoire. On se disait « L’Afrique va être notre Ruhr, notre accès aux matières premières stratégiques » pour justifier que l’on y protège notre pouvoir.

J’ai connu Abidjan en 1980 avec 50000 français ? le ministère du Plan était le ministère du Blanc !

Grâce à cela, la France a toujours disposé d’un bloc de 14 voix au conseil de sécurité de l’ONU.

Au plan économique, c’était un espace super protégé. La zone CFA permettait de transférer les bénéfices sans problème. Un certain nombre d’hommes d’affaires français s’y estimaient chez eux à ce point que les milieux patronaux français n’ont pas vu venir les émergents. Maintenant l’Allemagne y a doublé la France comme exportateur.

Alors que la mondialisation progressait, la France s’y est bunkerisée. L’armée française lui sert de cache-misère. Elle n’a toujours pas atterri dans l’Afrique mondialisée

Malgré cela, tout ce qui vient de Paris est sur interprété. Les rapports restent trop passionnels.

Pour en sortir, il faut inverser le logiciel de la guerre froide et en venir à « Tout ce qui est bon pour l’afrique est bon pour la France ». La phobie du migrant a éclipsé le potentiel de la diaspora africaine ?

Dans son discours de Ouagadougou (« Il n’y a plus de politique africaine de la France. Vous c’est vous ; Nous c’est nous ») Emanuel Macron est dans le real politik. Il n’a plus que 25000 français au Sénégal mais 500000 Maliens en France. Il a saisi l’importance de la diaspora dans les élections.

Pour l’aide au développement la France en est à 0,38% du PIB (0,55 visés en 2022) alors que l’Allemagne, les anglais en sont à 0,70 %. La priorité est à la sécurité. Pour le reste c’est la diplomatie économique. La France se retire de l’Afrique centrale. Priorité au retour sur la côte. Plus de coopérants ; les djihadistes ont gagné la bataille de l’éducation.

On ne peut comprendre la situation actuelle si l’on ne voit pas d’où l’on vient. On est parti d’une Françafrique d’États à une Fraçafrique de réseaux. Ce sont les entreprises patrimoniales (Bolloré, Bouygues..) qui sont à la manœuvre.

La vraie histoire qui commence, c’est celle des diasporas africaines. Les relations vont se faire davantage en France que sur le continent. Les chinois prennent pied sur l’ensemble du continent. Aucune entreprise française ne peut plus remporter un marché de construction d’infrastructures.

Le franc CFA (surévalué) est le dernier cordon ombilical vers la France. Le bureau de la zone franc à la BDF n’a jamais recruté un seul africain. C’est aux africains de penser ce qu’ils vont faire.

S1. En 1960 la Guinée a refusé d’entrer dans la communauté française et de rester dans la zone franc. Les piètres résultats de cette politique donnent à réfléchir.

S2. La CFAO qui appartenait au groupe de Wendel a été vendue aux japonais comme vous le dissiez mais l’argent a été réinvesti dans d’autres secteurs. Le capital français s’est réinvesti dans des secteurs plus porteurs (Orange..)

AG. Qu’il ait de beaux restes, c’est certain mais c’est peu par rapport à ce que c’était,. Les milieux patronaux se sont endormis dans a facilité. Les Chinois ont dépassé la France à Abidjan.

S3. Il y a des taux de croissance importants. Est-ce qu’on aide les pays en favorisant l’émigration ?

AG. Oui, mais on ne peut pas généraliser. La manne issue de la diaspora est plus importante que l’aide au développement.

S3’ La France a des atouts en Afrique : la langue, RFI… Ces outils ne sont-ils là que pour le rayonnement culturel ?

AG. La Francophonie reste quelque chose mais n’a pas été utilisée comme elle aurait pu l’être. Les Canadiens ont pris la main. On ne met plus d’argent dans les écoles. On parle anglais dans les hôtels. Il y a même un institut Confucius à l’université d’Abidjan. Tout cela bouge énormément. On est trop dans le rétro. La France ne peut pas tout faire mais par rapport à l’histoire, cela a un petit goût amer.

 

Débat

                Q1. En 1955, le quartier Latin était très mobilisé sur l’Afrique. J’y ai connu Abdou Diop, Senghor, Césaire… Au Collège de France, François Peyrou stigmatisait le gâchis que représentait l’absence de savoir-faire pour provoquer le développement. Il y avait aussi Pierre Moussa… L’Afrique était au cœur de l’intérêt. Que reste-t-il de tout cela ? Il faut aller au cœur de a culture africaine (AFS, Rwanda…) et reprendre les fondamentaux.

                Q2. Qu’en est-il de l’Europe dans votre analyse ? A-t-elle une réalité par rapport à la France ?

R. Chacun est resté dans son pré carré colonial. La France veut faire payer pour la sécurité qu’elle amène. Le Parlement français ne parle pas des exportations d’armement. Donc pas de pilotage européen possible. par peur d’être impliquée dans les actions militaires au Sahel : les allemands ont la trouille de se faire embarquer dans des affaires françaises en Afrique. La France ne souhaite d’ailleurs que du fric pour éviter les complications opérationnelles liées : à la présence d’autres pays européens.

Q2. La diaspora africaine a-t-elle un rôle dans nos relations avec les pays africains ?

R. Oui. Macron l’a bien compris. C’est la diaspora qui bat le tam-tam lorsqu’il y a un problème. Les africains veulent être valorisés. Il y a un communautarisme africain : « Ensemble on pèse ! Nos souhaits pèseront dans les prochaines élections ». Le conseil africain de Macron est mobilisé par cette question.

Q3. Y a-t-il un pays ayant pris son avenir en main qui peut servir de modèle ?

R. Les situations sont très différentes. Quoi de commun entre le Ghana et le Rwanda ? Bientôt il y aura plus de Nigérians au monde que d’Américains. Des chefs restent au pouvoir, s’enferment dans leur clan alors que d’autres prennent la main. Les choses bougent beaucoup.

Q4. L’Éthiopie qui n’a pas connu la colonisation (ou si peu) et qui a un beau taux de croissance ne répond-elle pas à la question ?

R. Les entreprises chinoises y sont traînées en justice !

Q5. Ne peut-on trouver d’autres Lionel Zinsou( Franco-Béninois pur produit de l’élitisme français. Normale sup, agrégation de sciences économiques) pour organiser les choses ?

R. ll s’est ramassé une veste lorsqu’il a voulu se présenter à la présidence du Benin. Ce sont les industriels africains qui vont se retrouver aux manettes.

Q6. Les jeunes africains qui veulent revenir au pays pour l’aider rencontrent beaucoup de difficultés et de résistance à l’intérieur du pays : « C’est compliqué » !

R. Ceux qui sont sur place ne veulent pas les voir rentrer. Mais cela avance surtout dans le domaine culturel.

Q7. Il ne faut pas plaquer des schémas extérieurs. Comment faire pour réinventer des approches ?

R. Il y a une très grande diversité avec une très grande énergie. Pas de solution globale. On ne peut pas faire à leur place.

Q8. Le problème principal est celui d’une très forte natalité. L’exemple ivoirien est-il bon ?

R. Ce ne sont pas des pressions extérieures qui régleront ce problème. Elles font le jeu des Djihadistes ! Mais Macron a été courageux.

Q9. Influence des religions, Islam, animisme ….

R. Je ne comprends pas bien la situation. Mon impression est celle d’une islamisation rampante de la zone Sahel-Sahara avec radicalisation des Peuhls, mais au Nigéria ce sont les évangélistes du « Grand réveil » qui sont très actifs.

Q10. Quel est le regard de l’Algérie et du Maroc sur l’Afrique noire ? Le Maroc est en train d’essayer de remplacer les français sur les côtes avec une certaine phobie des groupes français qui pensent qu’il faut passer par le Maroc pour reprendre pied en Afrique. En même temps l’Afrique craint le Maroc (racisme) et le Maroc sert de tremplin pour revenir en France…et la Lybie ?

R. L’ensemble des pays africains étaient très hostiles à l’intervention. La Lybie finançait l’OUA et faisait régner l’équilibre.

Vouloir tuer Khadafi était une erreur. Sarkozy disait qu’il s’était fichu de lui. S’il avait acheté 14 Rafales, la France serait-elle intervenue ? Le conseil de sécurité de l’OUA à Dakar : « Après ce que la France a fait en Lybie, il faut qu’elle nous aide pour qu’on s’en sorte ». Réponse de l’ambassadeur : « On n’est pas allé en Syrie. Voyez ce qui est arrivé ! ».

Q11. Que pensez-vous des barrières anti-immigration que l’on créer en Afrique ?

R. On n’en parle plus. La France a de très bonnes relations avec le Soudan qui contrôle de nombreuses routes d’émigration. Les soudanais laissait partir les gens du Darfour mais bloquait les Érythréens.

Q12. Situation du Centrafrique ?

R. Catastrophique. Il n’y a plus d’État. On n’entend parler de Kabila en RDC qu’à cause du Coltan (Colombo-Tantalite. Minerai de niobium et de tantale)

 

 

Gérard Piketty