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08/04/2002 – Quel avenir pour le Forum Social Mondial ? – Gustave Massiah, membre fondateur d’ Attac

Questions initiales de L. Hyafil :

Nous voudrions connaître et comprendre l’enchaînement Seattle-Gênes-Porto-Alegre, car nous sommes en face d’un mouvement qui nous paraît caractérisé par l’éclectisme, nous voudrions savoir si du front du refus peut naître quelque chose de positif et enfin nous voudrions le resituer dans le cadre d’une analyse politique.
Nous voudrions connaître et comprendre l’enchaînement Seattle-Gênes-Porto-Alegre, car nous sommes en face d’un mouvement qui nous paraît caractérisé par l’éclectisme, nous voudrions savoir si du front du refus peut naître quelque chose de positif et enfin nous voudrions le resituer dans le cadre d’une analyse politique.

Nous nous situons dans la lignée d’un mouvement historique qui part de la décolonisation, qui s’appuie sur le mouvement d’émancipation de 1968-1975 et apporte par ruptures successives de nouvelles possibilités, de nouvelles idées à partir de nouvelles forces sociales.

Une des ruptures essentielles est l’ouverture d’une crise majeure à la fin des années 1970 dans le processus qui achevait la décolonisation. A l’espoir d’une prise en main de leur propre destin par les pays du Sud, d’une nouvelle organisation des peuples, est venu se substituer une reprise en main de l’économie mondiale par les 7 pays les plus riches, reprise en main qui se matérialise par la création du G7 en 1977. Cette reprise en main sonne le glas de l’idée démocratique dans le processus de développement et s’aggrave à partir de 1979 par la crise de la dette attisée par le deuxième choc pétrolier. C’est le deuxième communiqué du G7 qui a appelé les banques à prêter aux pays en voie de développement suite au choc pétrolier. Les inégalités Nord-Sud sont de plus en grandes, le monde est de plus en plus riche mais le fossé entre les riches et les pauvres se creuse. Ce fossé des inégalités sociales se creuse d’ailleurs aussi à l’intérieur des pays du Nord.

On peut aussi expliquer ce choc de la fin des années 1970 dans une perspective historique par l’abandon du modèle social/libéral bâti en 1920 sur la base de quatre défis, décolonisation, révolution de 1917, luttes ouvrières, fascisme. Ce modèle est mis en cause à travers les politiques d’ajustement structurel qui visent à structurer l’espace mondial au seul bénéfice des multinationales, c’est le modèle néo-libéral objet d’une pensée unique symbolisée par Margaret Thatcher.

A cette mutation essentielle de la fin des années 1970 a correspondu en retour la construction d’une nouvelle résistance, prise de conscience des inégalités, à partir du début des années 1990. Le thème de la dette joue un rôle central dans cette lutte de résistance. Le système financier mondial est d’ailleurs affaibli par des crises financières en Amérique latine et en Asie, preuve de l’amoindrissement des politiques de régulation publique. De nouvelles luttes sociales contre la précarisation apparaissent dans les pays du Nord (Italie, France, Allemagne, Etats-Unis). Le modèle néo-libéral est ébranlé.

La réponse à ces crise de la part des pays riches est la recherche d’une plus grande libéralisation des échanges, c’est la voie tentée à Seattle avec l’OMC. C’est la théorie de l’ajustement, favoriser les multinationales pour résoudre les problèmes. Mais pour la première fois à Seattle, la théorie de l’ajustement doit faire face à une contestation violente et éclectique (Syndicats américains, syndicats des grands pays du Sud, convergence écologistes-consommateurs par le biais de public citizen de Ralph Nader, mouvement citoyen mondial, beaucoup de jeunes). L’échec du sommet dope « Citoyens du monde » et stimule l’anti-mondialisation qui fédère des mouvements contre la dette, contre l’AMI, contre l’OMC, pour la taxe Tobbin, pour le droit à la santé avant le droit des affaires. C’est le début d’une série de manifestations, Washington, Prague, Gênes, création d’un mouvement anti-Davos.

La crise idéologique est au sein même du système dominant, les divergences sont nombreuses sur la façon de traiter les pays du Sud, sur la façon de traiter les pays en cours de déstalinisation, sur l’importance de la croissance et sur le rôle des organisations internationales. En écho, Porto-Alegre décide d’inviter à une conférence qui est un espace de propositions et d’initiatives. Le mouvement qui était purement contestataire tente de devenir constructif. Car même s’il utilise une certaine forme de violence pour faire valoir ses idées, il n’est pas révolutionnaire, en ce sens qu’il ne vise pas à se substituer aux Etats. Cette conférence de Porto-Alegre, très centrée sur les questions des inégalités sociales et Nord/Sud, est un succès tel qu’elle est rééditée.

Questions/Réponses

Q- La libéralisation du commerce international dans les années 70 a conduit au développement de nombre de pays en voie de développement, est-ce répréhensible ? faut-il attaquer l’OMC en tant que tel, que proposez-vous à la place, les institutions internationales seraient-elles meilleures si elles représentaient les peuples et non les états.

R- Non, la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, la Malaisie ont largement profité de la libéralisation du commerce, mais qu’en est-il des autres ? Seules l’Iran et l’Algérie ont profité des capacités d’endettement ouvertes par le G7. Le mouvement ne fait que clamer ce qui est inacceptable dans la gestion des organisations internationales. Il faut une réforme radicale, comme celle du droit de veto au Conseil de Sécurité de l’ONU.

Q- Est-ce que l’accroissement de la dette des pays pauvres n’est pas une simple conséquence mécanique du second choc pétrolier ?

R- Le programme structurel est adopté par le G7 un an avant la crise de la dette, le G7 n’a pas vraiment permis aux pays pauvres de s’endetter dans des conditions décentes. La dette a été utilisée comme une arme. Les pays pétroliers ont une lourde responsabilité dans l’éclatement du front du Sud.

Q- Le solde des mouvements de capitaux n’est-il pas positif pour les grands pays ?

R- Oui, de plus il s’agit d’une dette odieuse qui s’accroît du fait de la dévaluation des monnaies. Les Etats pauvres sont amenés à rembourser plus qu’ils n’ont emprunté.

Q- Quelle est la politique du mouvement issu de Porto-Alegre ?

R- C’est un mouvement très large, il y a tous les points de vue, il lutte contre l’inacceptable. C’est en contestant frontalement de l’extérieur que l’on va ouvrir un espace de négociation. Une de ses revendications majeures est que les organisations internationales doivent être tenues par la Déclaration Universelle des droits de l’homme, avec des recours citoyen possibles.

Q- Qui va construire le mouvement citoyen mondial ?

R- La question qui se pose est celle d’un mouvement citoyen mondial, d’une conscience universelle. C’est l’espace de débats qui va permettre d’établir les valeurs. 800 ateliers à Porto-Alegre. L’important c’est la justiciabilité des droits économiques sociaux et culturels. Un exemple : pourquoi ne pas garantir 50L d’eau par citoyen financés par la taxe Tobbin. Sur l’organisation même de la structure politique du monde nous travaillons sur 6 propositions parfois antagonistes. Autre exemple : l’impunité internationale type Pinochet ou Milosevic. Autre exemple : égalité d’accès aux services publics.

Laurent Hyafil