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06/12/1999 – L’OTAN et L’EUROPE : comment sortir de l’ambiguïté ? – le Général Jean COT, général d’armée commandant / la FORPRONU de juillet 1993 à mars 1994

Exposé

Deux convictions sous-tendent l’exposé :

– L’édification politique de l’Europe est une ardente nécessité,

– Il faut sortir du piège grossier tendu par les USA pour garder le contrôle de l’Europe via l’OTAN.

Historique de la relation Europe-OTAN :

1948 : création de l’UEO, alliance militaire européenne,

1949 : création de l’OTAN et mise en sommeil de l’UEO,

1954 : révision du traité de l’UEO et rejet par la France, sous la pression gaulliste, de la CED. Ce rejet est ressenti comme un coup de Jarnac par nos alliés : les bases US doivent se  » replier  » principalement en RFA en augmentant au passage la vulnérabilité de l’alliance.

1966 : La France sort de l’OTAN et perd la possibilité d’infléchir l’alliance de l’intérieur dans le sens d’une Identité Européenne de Défense (IED).

1981 : la France remet en avant l’UEO, contrée par les USA. Quelques progrès sont faits dans ce sens.

1990 et sq. : implosion du pacte de Varsovie et mise en question de la justification de l’OTAN, alliance purement défensive sur un espace géographique limité.

1991 début du conflit yougoslave qui vient à point pour sauver l’OTAN.

25-26/4/99 cinquantenaire de l’OTAN en pleine guerre du Kosovo. Compromis des alliés :

l’OTAN est le principal instrument de réponse aux crises, mais pas d’autosaisine systématique : le Kosovo est un cas particulier,

l’OTAN ne doit pas s’aventurer dans le  » hors défense  » (drogue, terrorisme..),

l’IED se fera au sein de l’OTAN.

Inquiétant sommet de Cologne de juin 99 : les anglais font confirmer que l’IED ne se fera pas dans l’UEO. Le communiqué du sommet précise que l’UEO disparaîtra fin 2000. J.Baumel (rapporteur de la commission politique de l’assemblée de l’UEO) parle du scandale de Cologne !

Quid du prochain sommet d’Helsinki ? on peut être inquiet. Le sentiment dominant aujourd’hui est que contrairement à Kennedy qui voyait l’alliance bâtie sur deux piliers, l’américain et l’européen, l’amérique aujourd’hui catégoriquement cette vision et veut une alliance bâtie sur un pilier US et 15 colonnettes européennes.

L’OTAN oui ou non obstacle à l’éclosion d’une IED s’appuyant sur une politique étrangère européenne ?

Deux considérations de base :

1. On ne peut éliminer la  » grande guerre  » de nos scénarii. Il y a une probabilité de voir la Russie redevenir une puissance militaire agressive. Qui imaginait Hitler en 1929 ? et le Canossa de Munich en 1938 ? Il faut garder à cet effet une alliance transatlantique solide et maintenir son savoir-faire avec un chef américain en stand-by à Mons pour s’y préparer correctement. Au demeurant c’est cela qui doit  » formater  » les armées européennes.

2. Pour les crises i.e tous les scenarii en deçà de la  » grande guerre « , les intérêts US seront naturellement (il n’y a pas à s’en offusquer !) de plus en plus divergents des nôtres. Ils ne s’engageront vraiment que si leurs intérêts majeurs sont en cause. Ailleurs la doctrine  » OK  » (zéro mort) sera la règle avec des engagements de durée limitée, planification du désengagement dès le départ, contradictoire avec des sorties de crise qui se jouent dans la durée.

Deux exemples :

La Bosnie. Avec 3000 hommes, on aurait pu envoyer un signal très fort à Milosevic en 1991 avant la chute de Vukovar. Les USA ont bloqué tout engagement de l’UEO à l’époque. On a donc passé le relais à l’ONU pour étudier une intervention de 65000h via l’OTAN. Cette force aurait pu être engagée avec succès en juillet 93 pour arrêter les combats, mais les USA ont imposé en préalable un cessez-le-feu et un accord de paix. On peut en faire deux lectures : pour les uns, après que tout ait échoué, l’OTAN est intervenu et a remis les choses en ordre ; pour les autres , l’espoir d’une intervention de l’OTAN a conduit à un raidissement des Bosniaques qui ont refusé tous les plans présentés avant d’en accepter un qui n’était pas le meilleur.

A quoi sert donc une alliance sinon à arrêter la guerre quand c’était possible puis à faire respecter les accords de paix (Dayton) ce qui n’a pas été le cas !

Le Kosovo. Pourquoi avoir ouvert un boulevard à Milosevic en janvier 99 en retirant les 1300 observateurs de l’OSCE après le massacre de Raçak ? Le  » bid stratégique de l’OTAN  » (Gal Briquemont) d’avril-mai n’est pas du au hasard : le Conseil de l’OTAN avait explicitement exclu un engagement au sol qui, contrairement a ce qui a été dit, pouvait se faire rapidement.

Que pouvait-on faire d’autre ? Trois questions à ce sujet :

– Est-on allé au bout de la négociation à Rambouillet ? Pourquoi des exigences abusivement sévères vis à vis des serbes ?

– Pourquoi aucune délégation européenne n’a-t-elle proposé aux serbes l’intervention d’une force hors OTAN de 30000h avec 5000 russes qu’il était possible de mettre sur pied (mais les politiques en doutent peut-être encore) ?

– Quid si Milosevic avait refusé ce deal ? Il aurait en fait fallu y penser avant : le bon sens élémentaire, au niveau militaire, commandait de mettre cette force en place près de la frontière serbe, dès janvier 99, ne serait-ce que pour mettre l’armée serbe en posture vulnérable face à une intervention aérienne. La pusillanimité de l’OTAN nous a empêché de faire ce que l’on ne pouvait pas ne pas faire !

En conclusion, parce que l’affaire a été mal engagée en début 99 au Kosovo, B.Kouchner aura bien du mal à éviter l’indépendance du Kosovo avec tous les risques de nouveaux foyers de tension que cela génèrera dans la région. Les intérêts US seront d’un faible secours car leurs priorités réelles sont ailleurs (Caucase, Caspienne etc..), alors que les Balkans sont notre  » jardin « .

La France pourra-t-elle aller très loin avec des partenaires européens réservés ? Il est tout à fait possible que les Anglais prennent conscience que la stratégie US ne peut être celle d’une UK engagée dans l’Europe. Leur basculement pourra alors être brutal. Même chose avec les Allemands.

Au total même si on devait être isolés, il faut tenir bon sur la conception d’une OTAN constituée de deux piliers avec une autonomie d’engagement du pilier européen pour les crises dans sa sphère d’influence, ne rien faire qui pourrait nous en éloigner et refuser notre retour dans l’OTAN si ce n’est pas clair : ce ne sera pas plus grave qu’en 1966, bien au contraire.

Les budgets  » défense  » des pays de l’UE représentent 60% du budget US, avec 1,9 millions de soldats contre 1,6 pour les USA. Ces budgets ont baissé de 22% depuis 1992 alors que le Budget US a cru de 3% sur cette période. On n’est pas sur la bonne voie. Il faut faire cesser le scandale d’une Europe de 540M d’habitants dépendant pour sa sécurité de 260M d’américains. L’OTAN, dans la vision qu’en ont aujourd’hui les USA est un obstacle absolu à l’émergence d’une défense européenne conforme à ses intérêts.

 

Débat

Q1. Où est la menace qui peut fédérer l’Europe alors que les citoyens sont surtout conscients de la guerre économique ?

Q2. L’inhibition des politiques face à l’Europe de la Défense relève-t-elle de choix budgétaires, de complexes ou frustrations technologiques, de la difficulté de s’entendre à 15, de l’évidente disparité militaire des pays de l’UE ou seuls trois ou quatre pays comptent réellement, de l’inégale ambition de leurs politiques étrangères ?

Q3. L’opinion US est loin d’être monolithique. Sommes-nous bien sûrs que le peuple français était plus prêt à sacrifier des vies pour le Kosovo que ne l’était le peuple US ? Est-il enfin heureux de construire un pilier européen de la défense  » égal  » au pilier US, au risque de voir un jour, dans un scénario catastrophe, deux blocs surarmés s’affronter ?

Q4. L’ONU est bien absente de votre discours. Pourquoi ?

Q5. Faut-il consacrer 25% des budgets européens pour disposer d’une force de police européenne ?

Q6. La guerre technologique OK au Kosovo n’était destinée qu’à cacher une frilosité politique. Inversement on peut se demander si les frappes ont été assez puissantes au début pour amener Milosevic à la table de négociation ?

 

R. Que les USA aient fait le choix d’une stratégie  » 0K  » au cas particulier du Kosovo, on peut le comprendre. Que les européens n’estiment pas pouvoir verser une goutte de sang, est plus difficile à admettre alors que l’équilibre des Balkans est aussi déterminant pour celui de l’Europe ! D’ailleurs, ils l’ont accepté en Bosnie ! Le problème est sans doute encore devant nous.

Ne pas croire que les américains ne seraient plus capables de faire la guerre avec des morts, si leurs intérêts vitaux sont menacés. C’était loin d’être le cas au Kosovo. Quant à l’inhibition technologique, point n’était besoin de satellites pour traiter 25000 serbes équipés de vieux chars ! Les européens, non seulement pouvaient disposer d’une bonne supériorité numérique mais aussi d’une maîtrise totale de l’air et de l’appui au sol. Quant à la question de la puissance insuffisante des frappes aériennes des premiers jours ? Bien sûr on aurait pu faire Dresde ou Leipzig, (encore que la guerre se soit prolongée encore deux ans après ces bombardements), mais aurait-il été approprié ou justifié d’agir ainsi ? il fallait faire œuvre de jardinier et non de chirurgien !

Si l’Europe ne disposait que d’une force de  » police  » de 70000 hommes, elle ne serait pas crédible dans de telles interventions. Le fait d’être adossé à un dispositif militaire puissant est indispensable à cela. La préparation nécessaire à la  » grande guerre  » y pourvoie : qui peut le plus, peut le moins !

L’ONU n’est pas encore sortie de 50 années d’inhibition où elle n’a pu que  » bricoler dans les interstices  » !

Gérard Piketty,

membre du Club citoyens

NDLR : Que les européens aient pu limiter la casse et la souffrance des peuples avec un peu de détermination et de culot militaire, certes ! Que cela ait pu suffire à régler le problème, certainement pas : deux nationalismes (serbe et kosovar) s’étaient agacés et exacerbés. Le foyer principalement provocateur en était certes Milosevic. L’UE devait en plus et sans doute d’abord, rompre tout lien économique et d’assistance tant avec l’un qu’avec l’autre, jusqu’à ce qu’ils abandonnent clairement cette approche nationaliste. A défaut, même si l’Europe avait agi plus intelligemment et courageusement au plan militaire, B.Kouchner se serait retrouvé dans la même situation impossible qu’aujourd’hui et quasiment obligé de consolider le nationalisme Kosovar !