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06/10/2003 – Echec de Cancun : chance ou catastrophe pour les agriculteurs des pays du sud ? – Charles E. Hanrahan, directeur des études agricoles au service de recherche du Congrès des Etats Unis

Exposé

L’importance nouvelle du rôle joué par les pays en développement (PED) pour l’avenir de l’OMC, est clairement apparue à Cancun.

Ils sont aujourd’hui 123 sur les 148 membres de l’OMC. Ils comprennent beaucoup des « pays les moins avancés » (PMA). L’agriculture représente pour eux un enjeu considérable : en moyenne 13% du PIB, 15% des exportations et 60% de la population active (ces chiffres étant respectivement de 37%, 35% et 76% pour les PMA) et ils demandent que le système international agricole soit conforme à leurs besoins de développement selon le principe posé en 2001 à Doha, du moins pour les PMA.

Le Brésil, 4éme exportateur mondial de produits agricoles, a réussi à former une coalition pragmatique mais solide avec 21 pays dont l’Inde et la Chine derrière laquelle s’est rangé le gros des PED.

Ils ont pu bloquer l’agenda à Seattle et ont été capables d’avancer une proposition à Cancun qui s’est trouvée en concurrence avec la proposition USA-UE, fruit d’un compromis trouvé au mois d’août après celui trouvé au sein de l’UE suite aux concessions françaises sur la réforme de la PAC.

De même, 4 PMA africains ont-ils bloqué un accord sur le coton.

Si leur capacité à bloquer des accords qui ne leur seraient pas favorables a été affirmée, rien n’a cependant encore démontré leur capacité à négocier.

A cet égard, on doit noter avec les réserves s’attachant à ce genre de prévisions que la Banque Mondiale avait chiffré à 23 milliards de $ le bénéfice d’une réforme globale de la politique agricole jouant sur les trois piliers : élimination des soutiens internes, des subventions à l’export et des droits tarifaires et à 250 M$/an le bénéfice pour les 9 PMA africains de l’élimination des seules subventions à l’export pour le coton.

Pour le comprendre on peut mentionner le cas de l’Inde, importatrice nette de produits laitiers qui avait ouvert son marché dans les années 90 et qui a été finalement obligée d’introduire des droits de douane élevés pour éviter des ravages chez ses propres producteurs. On a un exemple semblable avec Haïti pour le riz ou avec le Mexique qui a donné un droit d’importation à tarif 0 dans le cadre des accords NAFTA (North American Free Trade Association). N’ayant pas pris les mesures internes d’accompagnement nécessaires vis-à-vis de ses propres producteurs, il a provoqué une levée de boucliers de leur part.

Pourtant à Cancun, la proposition était bien structurée, jouant sur les trois piliers rappelés plus haut et (ne) demandant :

– (que) la réduction progressive des subventions internes les plus « distorsives » avec élimination de toutes les subventions à un terme fixé.

– le plafonnement des autres.

– des réductions tarifaires dans les pays riches sans réciprocité dans les PED (un traitement spécial différencié pour les PED et pas d’obligations pour les PMA) En face, les pays développés ont campé sur la position suivante :

– Oui pour une réduction des subventions, mais seulement pour les plus distorsives. Rien pour les autres et pas de terme fixé pour la suppression totale.

– Pas de réciprocité pour les seuls PMA.

– Suppression progressive des subventions à l’export sur les seuls produits sensibles sans terme fixé pour leur élimination.

Il y a eu confrontation entre les deux positions mais pas de négociation. C’est une perte, même pour les USA qui avait un intérêt à l’ouverture des marchés dans les PED les plus avancés.

En raison d’échéances politiques diverses (présidentielles US, élections en Inde, renouvellement de la Commission de l’UE en fin 2004) on ne trouvera pas le souffle politique nécessaire à une remise sur pied acceptable des discussions avant 2005. Le calendrier de Doha qui prévoyait l’achèvement du « round » en 2005 ne sera donc pas tenu. L’échéance est pour 2007 au plus tôt.

Est-ce le commencement de la fin pour l’OMC ou en paraphrasant Churchill « le commencement du commencement » ? Il est sûr que l’absence d’une régulation mondiale du commerce international sera plus particulièrement durement ressentie par les PMA.

 

Débat

(« R. » pour réponse de M.Hanrahan. « S. » pour réaction de la salle)

 

Q1. Comment se fait-il que les USA soient si attachés aux subventions à leur agriculture ?

R. Cela tient à l’intérêt particulier de quelques lobbies très puissants et au fonctionnement du système politique US où un seul sénateur peut bloquer un projet de loi si au moins 60 sénateurs ne s’y opposent pas. Au Congrès, c’est la Commission de l’agriculture, dominée par ces lobbies, qui fait en fait la loi. C’est ainsi que les seuls 25000 producteurs de coton peuvent se partager entre 1,5 à 3 milliards de $ (60000 à 120000 $/producteur en moyenne) ;

Q2. Les choses auraient-elles changé si les démocrates avaient été au pouvoir ?

R. Pas réellement, le processus d’élaboration de la PA est, pour la raison déjà indiquée, un processus bipartisan. Les enjeux entre démocrates et républicains sont davantage régionaux. A l’occasion du « farm bill » de 2000, le débat sur le plafonnement des paiements par exploitation s’est soldé par un échec.

Q3. A force d’en rester au jeu des lobbies et d’intérêts agricoles, ne voit-on pas que l’on développe les risques d’instabilité dans les zones urbaines ? Est-ce qu’émerge une sensibilité à ce raisonnement trop sectoriel ?

R. Cela peut-il vraiment être dans le champ d’action de l’OMC qui est focalisé sur le développement du commerce. C’est au niveau des Etats-membres que l’idée doit mûrir. La réforme de la PAC va dans ce sens (NDLR. Son mûrissement vient en fait ici d’une contrainte budgétaire elle-même liée à l’élargissement de l’Union Européenne).

Q4. L’échec de Cancun va-t-il provoquer un élargissement du champ de l’OMC ? Que pensez-vous du principe de souveraineté alimentaire mis en avant par les altermondialistes ? De quelle marge disposent les USA pour changer de pied au profit de négociations bilatérales ?

R. On ne discute guère plus du principe de souveraineté alimentaire et en tant qu’économiste, je n’y ai jamais cru. Il n’y a plus de possibilité pour les pays de s’autosatisfaire. La souveraineté alimentaire n’est ni possible, ni nécessaire. Par ailleurs, nul n’a remis en cause la souveraineté des Etats dans la négociation.

S. Oui, mais il faut voir que ce principe est l’expression d’une confusion entre maîtrise du développement de la production agricole et autosuffisance sinon on serait dans un « pétainisme » du développement agricole discutable !!

R. Il est sûr que les USA vont être tentés de se retourner vers des négociations bilatérales. Mais la question est controversée dans les milieux agricoles qui sont plutôt favorables au multilatéralismes car il permet une ouverture plus large des marchés. Un problème du même ordre s’est posé au sein de l’ALENA : le Brésil a fait un préalable de la réduction des subventions. Les USA ont indiqué que cela ne pouvait se faire en bilatéral (Par définition la réduction des subventions touchera tous les clients des producteurs concernés). La discussion s’est arrêtée là.

Q5. Les PED ont montré qu’il fallait compter avec eux en ce sens qu’ils étaient capables de bloquer le processus. On peut considérer qu’il y a là un aspect positif. Mais ce ne peut être une solution durable. La reprise du processus n’est-elle pas liée à une réforme de l’OMC ?

R. Pascal Lamy la pensait nécessaire et la France s’est exprimée en ce sens. Le Directeur général de l’OMC a nommé une commission de sages à cette fin pour faire rapport d’ici juin 2004. Que peut-il en sortir ? :

– Peut-être le rétablissement de la notion de code sur les subventions applicable par les seuls signataires ?

– Une limitation du champ de l’OMC strictement centré sur le commerce ?

– Un renforcement de la capacité des PMA à négocier en mettant davantage de moyens d’étude et d’expertise à leur disposition à Genève ?

– Une dotation des agences existantes pour aider les PED à financer les adaptations nécessaires de leurs structures agricoles ?

S. Le principe du consensus ne doit-il pas être revu ou aménagé ? Comment gérer par le consensus une négociation entre 143 pays ?

Q6. Peut-on faire un parallèle entre produits industriels et produits agricoles sur le point suivant. Pour les premiers la libéralisation du marché s’est traduite par des délocalisations massives qui ont été plus ou moins bien compensée par le développement de productions à haute valeur ajoutée dans les pays industrialisés. Y a-t-il un secteur de remplacement dans le secteur agricole ?

R. oui. On peut observer un déplacement des productions vers des produits à plus haute valeur ajoutée dans les pays riches. Q7. Peut-on se passer des subventions pour faire face aux aléas climatiques ?

R. Il y a des mécanismes d’assurance envisageables. Des études sont en cours aux USA.

S. Pourtant ces risques sont difficilement assurables du fait que tout le monde est touché en même temps.

S. Tous les secteurs sont touchés par les aléas climatiques, y compris le pétrole. On ne peut trouver là une justification aux subventions.

Q8. Ne faudra-t-il pas trouver de nouveaux sujets de discussion pour permettre la reprise des négociations ? L’environnement, le bien être des animaux … ?

R. Certains estiment que ces « questions non commerciales » peuvent déjà être traitées dans le cadre actuel de l’OMC (aides non distorsives). Par ailleurs l’OMC a déjà accepté le principe du traitement spécial différencié pour les PMA (pas de réciprocité).

S. Les PI ont négligé les contraintes du développement durable durant des décennies. Il est difficile de le mettre en avant comme moyen d’obtenir des PED qu’ils débloquent le processus.

S. Pas évident : meilleur respect de l’environnement par les PED contre plus de concessions commerciales ou non commerciales (un « traitement spécial » augmenté en faveur des PED ? par exemple). Il faudra bien élargir l’éventail des sujets et accepter plus d’entorse au principe de réciprocité pour en sortir, compte tenu de l’importance sociale exceptionnelle de l’agriculture pour les PED.

 

Gérard PIKETTY