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06/06/2005 – Où va la Chine ? – Guilhem Fabre, chercheur au centre sur la Chine moderne

Exposé
Géographie
Superposée à l’Europe, la Chine s’étendrait de l’Atlantique à l’Oural et de l’Ecosse au Maroc. Une de ses provinces égale un pays européen en moyenne. L’une d’elles, le Setchouan, comporte 110 à 120 millions d’habitants. C’est donc un pays qui comporte une grande variétés de climats et de peuples. A l’ouest d’une diagonale NE/SO partageant le pays en deux moitiés on trouve une majorité de déserts, de hauts plateaux et de montagnes habités par minorités ethniques, pasteurs et nomades, tandis qu’à l’Est dominent les plaines alluvionnaires qui abritent les Hans, chinois de souche en majorité agriculteurs qui forment 90% de la population. A l’époque romaine la population chinoise s’élevait à 50 millions d’habitants environ. Les problèmes climatiques dominaient (pluies très irrégulières au nord, inondations au sud). Très vite a surgi l’idée que la politique devait réguler le fragile équilibre entre l’homme et la nature au prix d’investissements lourds tels que la construction de digues et de barrages.
Plusieurs courants de pensée politique
Les premiers souverains, les rois guerriers, fondent leur pouvoir sur leur origine divine et leur force et règlent essentiellement les conflits dégénérant en guerres civiles. Le confucianisme apparu au 5ème-6ème siècle opère une spectaculaire désacralisation du pouvoir. Le gouvernement humaniste est légitimé par l’exercice de la vertu et de l’exemple et fonde son autorité sur la classe des lettrés. Ceux-ci sont des fonctionnaires révocables et forment une bureaucratie pyramidale qui peut être autoritaire en phase de décadence.
Les légistes à l’inverse recourent à la force pour faire appliquer la loi. Ils bannissent commerçants et lettrés pour exercer un pouvoir absolu sur un monde de paysans. C’est une période de centralisation et d’unification (écriture, poids et mesures) qui préfigure l’ère Mao. La tradition populaire taoïste représente la voie du détachement et du salut. Elle est à l’origine de communautés égalitaires qui partagent les terres, créent des sociétés secrètes, pratiquent arts martiaux et diététique, prêchent l’harmonie entre les hommes et avec la nature ouvrant ainsi la porte au bouddhisme et au manichéisme.
L’histoire de la Chine est ainsi caractérisée par la cohabitation de plusieurs traditions qui mènent à une culture de principes opposés (ying-yang, activité-repos, principes masculins et féminins) et de mutations constantes érigées en principe de vie. La bible chinoise, le « Livre des changements », en rend compte (excellente traduction de Cyril Javary). La notion de famille, de clan est prédominante. Le souverain est un père et une forte empathie relie les chinois entre eux.

Histoire

La Chine s’est crue le centre du monde jusqu’au 16ème siècle lorsque les occidentaux entreprirent de détourner ses grandes découvertes (le papier, l’imprimerie, la boussole et la poudre inventés à des fins pacifiques). Au fil du temps le pouvoir chinois traditionnel est dépassé par la technologie occidentale.
L’interdiction du commerce de l’opium, drogue interdite par le gouvernement, est le symbole de la résistance au libre échange prôné par les blancs. La Chine aborde une période d’humiliations diplomatiques et de guerres civiles qui ouvrent la voie au système communiste en 1949.
Celui-ci matérialise le rêve d’unification nationale et procède à l’industrialisation que la colonisation n’a pas su réaliser. Le gouvernement, copiant le système soviétique, développe le capital avec un coût de main d’œuvre maintenu très bas, procède à une industrialisation sans agglomérations qui produit de l’acier (de mauvaise qualité) mais pas de biens de consommation de première nécessité. En 1976 le sous-emploi et la pauvreté atteignent leur maximum, la démographie galope, la famine décime la population (30 millions de morts). C’est l’époque du grand bond en avant. Les prix des produits agricoles sont sous évalués, ceux des produits industriels sur évalués. Den Xiao Ping décide de rompre l’engrenage socialisme égale pauvreté et inverse les priorités. Il développe les investissements dans l’agriculture et l’industrie légère ; le poids des investissements dans le PIB diminue tandis que la production des céréales et la consommation augmentent. La décollectivisation des campagnes s’opère spontanémént à l’occasion de nombreuses famines.
En 1984 la Chine s’ouvre au monde extérieur et fait appel aux investissements étrangers. Fin 85, en réaction aux quatre dragons asiatiaques suspectés de dumping monétaire qui inondent les marchés, les occidentaux demandent une réévaluation de leurs monnaies. La Chine bénéficie alors de la relocalisation sur son territoire des activités exigeantes en main d’œuvre comme le textile. En 1989, le parti est cependant acculé à l’échec de la réforme économique : l’inflation galope, charbon et électricité manquent, la corruption se multiplie, les révoltes dont celle des étudiants grondent. Le parti recentralise et Den Xiao Ping lance un nouveau train de réformes : l’entreprise privée devient l’avenir de la Chine. Les gouvernances locales attirent les investissements, Hong Kong et Taïwan délocalisent des activités en Chine. Les investissements atteignent 11 milliards de dollars US. Le yuan se cale sur le dollar américain par l’intermédiaire du dollar Hong-Konguais. A partir de 1994, l’ouverture est facilitée par les taux de change fixes, une maind’œuvre inépuisable (10 à 15 millions de travailleurs de plus chaque année) bon marché et docile (ni syndicats, ni droit de grève). Le pays accueille 30 à 40 milliards d’investissements par an. Dans le même temps la crise se développe en Asie du sud-est lancée dans l’aventurisme boursier à grande échelle. Une fois encore la Chine bénéficie de la situation économique de ses voisins et devient la première destination de délocalisation.

Débat

Q1 : Quels sont le statut et les droits de la population ?
>> Les classes laborieuses sont exploitées. Les habitants sont chassés des centres villes sans indemnisation, privés d’écoles, d’infrastructures, leurs terres sont revendues avec des profits énormes. Les paysans viennent travailler en ville par périodes de six mois sur les chantiers de construction, reçoivent environ 2000 yuans, repartent souvent sans salaire.

Q2 : Qu’en est-il des grandes ambitions industrielles, des capacités à la recherche et au développement ?
>> Elles sont formidables et vont en se développant. L’idée est effectivement de ne pas se laisser cantonner aux activités d’assemblage. Les chinois pratiquent la stratégie du cheval de Troie par l’achat de filiales d’entreprises (ex : IBM). Ils utilisent alors les circuits de distribution qui leur manquent = 40% de valeur ajoutée.

Q3 : Qu’en est-il des paysans ?
>> On pratique à la campagne de nombreuses activités hors culture (construction, petits ateliers, sous traitance) et nombre de paysans sont en fait des citadins temporaires. Les ruraux profitent ainsi de la croissance urbaine. Le revenu moyen à la campagne est environ le quart du revenu en ville.

Q4 : Envisage-t-on une réévaluation du yuan ?
>> Les américains la souhaitent car le yuan serait dévalué. C’est en fait le dollar qui a baissé. Le système est complexe : les chinois placent leurs biens en bons du trésor américains !

Q5 : Où en sont la démographie et les services publics ?
>> La démographie semble contrôlée : un enfant par couple en ville, deux à la campagne. Le vieillissement de la population est attendu dès 2050. L’éducation est en grande partie privée : les livres scolaires sont payants, l’inscription en université coute 6 à 10 000 yuans (= 10 mois d’un salaire ouvrier). Le système de santé est quasi nul, les dispensaires de Mao ont disparu et les épidémies se multiplient (on prévoit 30 millions de sidéens en 2010).

Q6 : N’y a-t-il pas une contradiction apparente entre culture traditionnelle et innovations ?
>> L’apprentissage en Chine est en effet fondé sur l’imitation (arts martiaux, écriture), ce qui semble contraire à l’esprit de souplesse et au dynamisme observés. En fait la population est animée par la recherche de solutions pragmatiques qui satisfassent le parti-état. Il y a bien des mouvements sociaux mais ils sont très fragmentés et vite réprimés.

Q7 : Des forces centrifuges ne risquent-elles pas d’écarteler le pays ?
>> Les disparités provinciales sont négligeables devant le désir de cohésion nationale. La stabilité du pays est assurée grâce au mélange des populations: plus de Hans que d’autochtones au Tibet par exemple.

Q8 : Quelles sont les conséquences de l’augmentation du PIB (8 à 10% par an) sur la population?
>> On constate de nombreuses améliorations qui aboutissent à peu près à notre niveau de consommation dans les années 60. Mais les disparités augmentent : 10% de la population très riche qui s’affiche sans vergogne soutenue par le pouvoir, 40% en difficulté grave. Les pauvres sont cependant moins pauvres qu’il y a 20 ans.

Q9 : Qu’en est-il de la législation sociale ?
>> La flexibilité chinoise est fondée sur une main d’œuvre inépuisable qui ne bénéficie d’aucune garantie : syndicats interdits, ni droits du travail, ni chômage, ni retraite. Le travail des enfants est en revanche peu développé car la scolarisation est correcte.

Q10 : Y a-t-il des négociations avec l’OMC sur la liberté syndicale ?
>> Une convention a été signée avec l’UNESCO concernant les droits civils. Elle a été retirée par le Parlement. Les signatures politiques ne sont pas respectées.

Q11 : A quand la démocratie ?
>> Les élites intellectuelles ne la souhaitent pas. Ce sera une longue marche. Si elle s’installe elle sera comparable à celle observée en Allemagne à la fin du 19ème avec l’instauration du suffrage censitaire.

Catherine Finaz