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05/05/2003 – Divorce ou désaccord avec les Américains ? – Les adhérents du Club

Aux termes de la Charte de l’ONU, seul le Conseil de sécurité peut autoriser le recours à la force. Comme la résolution 1441 du Conseil ne le prévoyait pas clairement, les USA ont souhaité finalement une 2ème résolution mais y ont renoncé in extremis devant l’annonce par la France, avant le débat, de l’usage de son droit de veto. Les USA se sont donc mis dans l’illégalité.

I. La charte de la SDN, l’ancêtre de l’ONU, est pourtant due au vœu du président Woodrow Wilson d’organiser la paix La guerre contre l’Irak et la légalité par une institution internationale.

Introduction : François Colly..

Cette conception différait alors de la conception européenne, héritée des traités de Westphalie (1645), fondée sur la primauté des Etats, l’équilibre entre eux et si nécessaire la guerre pour l’établir.
La SDN fut mise en échec, faute d’un pouvoir de décision suffisant et sous la pression des dictatures fascistes. En 1945, les américains proposent donc la charte de l’ONU qui interdit la guerre, prévoit que seul le Conseil de sécurité peut engager la force et substitue enfin un droit de veto reconnu à cinq membres permanent du Conseil à l’unanimité qui était requise dans la SDN. Les USA n’ont donc pas respecté la règle qu’ils avaient posée.
Plusieurs tendances s’affrontent vivement aux USA :
– La tendance isolationniste dite de « Monroe » qui l’avait emporté aux débuts des deux guerres mondiales.
– Une tendance expansionniste à caractère messianique pour faire prévaloir la liberté politique et économique. – La « real politik » de puissance incarnée par Kissinger et D.Rumsfeld aujourd’hui.
– Une tendance idéaliste, incarnée par J.Carter et un peu par B.Clinton qui se conjugue suivant les moments avec l’isolationnisme ou l’expansionnisme.
Aujourd’hui on a affaire à une combinaison de real politik et d’expansionisme messianique, prête à s’affranchir de la légalité internationale puisque ce messianisme est bon par définition.
Débat

1/ Les USA n’ont pas mis en avant l’objectif d’instauration de la démocratie. Que peut-on dire sur la légalité de l’ingérence démocratique ?
R. Le principe de souveraineté des Etats est posé par la Charte de l’ONU, il n’y a donc pas aujourd’hui de possibilité légale « d’ingérence démocratique » à ce niveau. Le régime politique irakien était de ce point de vue très semblable à celui de la Syrie voisine. L’arrogance un peu stupide de Saddam Hussein a contribué à en faire la bête noire des USA, tandis que le dictateur tout aussi cruel qu’a été Hafez el Assad s’est montré beaucoup plus subtil.

2/ Si l’on se place au plan de la légitimité (et non de la légalité) d’un combat pour renverser une dictature et amener la démocratie, peut-on admettre pour autant la démarche non démocratique des USA vis-à-vis de l’ONU ?
R. C’est ce qui a été fait pour le Kosovo de façon à s’affranchir d’un veto Russe probable et personne n’a trouvé à y redire.

3/ Les guerres avalisées par l’ONU ont été des coalitions occidentales. Avec son veto à la coalition anglo-américaine, la France n’a –t-elle pas pris le risque de tuer l’ONU ?

4/ La chute de la dictature irakienne obtenue rapidement par des moyens illégaux met mal à l’aise. Les USA dans le passé ne se sont guère montrés soucieux de la démocratie dans de nombreux pays tel que le Chili par exemple. En tout cas, maintenant que Saddam est tombé, cela pose la question du positionnement de la France : faut-il qu’elle collabore à la mise sur pied d’une véritable démocratie dans ce pays ou doit-elle se contenter de regarder la « coalition » agir en relevant les fautes ?

R. On estime en Europe que l’activité de la communauté internationale devrait être guidée par les droits de l’homme. La difficulté est que la conception européenne des droits de l’homme n’est pas partagée par d’autres cultures (chinoise, arabo-musulmane…). Il faut néanmoins avoir certainement une action plus forte au niveau de l’ONU pour arriver à faire de l’ingérence démocratique un principe de la Charte, sans nécessairement y lier l’usage de la force.

II. Que faut-il penser de la position de Tony Blair ?
Introduction : Jacques de Rotalier

T.Blair, européen convaincu, souhaite un partenariat étroit de l’Europe avec les USA estimant que le contraire serait contre productif et que la vision multipolaire prônée par la France mènerait vite à des rivalités qui ne feraient d’ailleurs qu’encourager une démarche « unilatéraliste » des USA. Le monde développé est apparu divisé l’affaire irakienne et cela est en soi dangereux.

Débat 
: 1/ La question est celle du pouvoir réel de T.Blair sur les USA non seulement avant mais aussi après la guerre ? Ne peut-on dire que si la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne avaient réellement cherché à avoir une position commune et avaient réussi à faire que l’Europe unie participe fortement (40% au moins) à la menace militaire nécessaire à crédibiliser les inspections de désarmement, leur influence sur la conduite des affaires aurait été plus substantielle et que la qualité du dialogue transatlantique y aurait beaucoup gagné ? D’ailleurs la menace était-elle grave au point qu’il faille s’en tenir à un suivisme aveugle des USA, ressemblant à un acte de puissance des pays riches à l’évidence mal perçu par le Tiers Monde ?

R. L’attitude de Blair est une constante de la politique anglaise. Churchill a fini ainsi par influencer Roosevelt alors que l’agitation du général de Gaulle n’a débouché sur rien. Par ailleurs, l’alliance des pays démocratiques est à la base des convictions anglaises. Quant à l’opinion anglaise, les récentes élections locales ont montré des pertes insignifiantes pour T.Blair (avec 63% d’abstentions !). Il semble par ailleurs que T.Blair ait fait avec succès de l’intérêt de Bush pour un règlement du problème palestinien, la condition de son soutien.

2/ Les intervenants semblent maintenant tous dénoncer la position française alors que l’intervention anglo-américaine est abominable. La position de la France est parfaitement justifiée. Israël est le seul à détenir des ADM et à ne pas respecter les positions de l’ONU. Il ne faut pas se laisser prendre à la sauce démocratique dispensée comme un leurre. On en a pour 50 ans de déstabilisation dangereuse de la région !
R. on ne peut résumer la position US à la défense de ses intérêts : on a de vrais « révolutionnaires » au pouvoir à Washington, porteurs d’une idéologie messianique qui dépasse, sans néanmoins l’exclure, la real politik cynique. Par ailleurs la France est engagée dans une alliance profonde avec les USA. On s’en apercevra aisément au premier coup réellement dur. C’est une faute majeure de Chirac que de ne pas l’avoir dit très haut. Ceci nous imposait l’abstention et le refus du veto.

3/ Peut-être mais la France mène aussi une politique d’amitié avec les pays arabes qui a pesé. Les révolutionnaires US ignorent ce monde arabo-musulman qu’ils méprisent sans doute. Les musulmans humiliés vont sans doute réagir violemment et Bush n’a certainement que peu d’intérêt pour les palestiniens.

R. La position française, applaudie par les pays arabes, ne s’est pas révélée payante jusqu’à maintenant. Nous sommes aujourd’hui exclus de la reconstruction de l’avenir. On peut certes ironiser sur les risques d’une dictature islamiste en Irak mais Saddam était-il mieux ? En quoi la position française est-elle porteuse d’avenir ? On a certes défendu des principes importants mais peut-être fallait-il être moins flamboyants pour éviter l’hors jeu. Notre attitude vis-à-vis des « 8 » était intolérable et fait douter de l’engagement européen de Chirac. Ceci étant, il faut espérer que les excès français auront l’avantage de faire ressortit la faiblesse de l’UE et de provoquer un sursaut dans le respect mutuel. De toute façon il est sans doute trop tôt pour juger de la valeur de la position française.

4/ Ne pas oublier les aspects économiques. Le paiement par le contribuable américain des coûts de remise en état et de l’occupation de l’Irak n’aidera pas à la relance de l’économie américaine.

R. Peut-être mais ne faut-il pas aussi que nous ayons une autre vision des budgets militaires de l’Europe ?

III. Quelle position la France pouvait-elle prendre ?
Gérard Piketty

– La position Anglaise : adhésion dans l’ensemble (avec des nuances dans la mise œuvre) à l’objectif US de faire un exemple, de mettre à bas S.H, d’instaurer un ordre libéral et démocratique dans la région capable au surplus de favoriser la solution du conflit Israël-Palestine et de sécuriser l’approvisionnement pétrolier de l’Occident. Cette position est adoptée sans réserves par les pays de l’Europe de l’Est soucieux avant tout de consolider une libération du joug russe et communiste qu’ils imputent d’abord à la puissance américaine.

– La position Allemande : cette affaire n’est pas la nôtre. En tout état de cause, non à la guerre !

– La position française : neutralisation militaire de l’Irak par un système d’inspections renforcées, susceptible d’aboutir à une action militaire en cas d’opposition irakienne, le tout sous contrôle du Conseil de sécurité. Opposition implicite à une action musclée d’instauration d’un nouveau régime en Irak.

Ses faiblesses sont bien apparues :
 Une attitude peu claire et peu cohérente sur la mise en place et les conséquences possibles de la menace militaire à mettre en place pour donner la crédibilité nécessaire à la procédure des inspections.

 Un manque de clarté concomitant sur le problème de l’avenir de l’embargo pétrolier si le régime irakien restait en place, défaut qui ignore la peine du peuple irakien.

 L’absence d’un effort sérieux pour amener l’UE sur une position commune tenable. Cette absence est largement causée par les deux faiblesses mentionnées ci-dessus. Un tel effort aurait supposé :

 De prôner la participation substantielle (au moins 40 %) de l’Europe à la menace militaire,
 de faire aussi du départ de Saddam une condition absolue de la suppression de la menace,

 de mettre un terme clair dans le temps au respect des deux conditions posées (suppression des ADM, départ de Saddam).

Etait-ce jouable ? Etait-ce souhaitable ? On peut en discuter. Il eut certainement fallu d’abord pouvoir en convaincre un Schroeder profondément faible et décevant. Et non moins certainement éviter les insultes aux « 8 » et ne pas donner l’impression d’un diktat franco-allemand.

Obtenir le départ de Saddam « en douceur » n’aurait-il pas été un leurre ? Un régime de « paille » n’aurait-il pas été mis en place sans que rien ne change vraiment ? Aurait-il donc fallu préciser davantage la condition ? Comment ? L’Europe s’était-elle réellement préparée à cette question ?

Enfin le PS dans tout cela n’a-t-il pas poussé à la faute en se contentant de réclamer la garantie de l’usage par la France de son droit de veto au Conseil de sécurité dans un petit jeu politique stérile et en amenant Chirac à surenchérir par une annonce du droit de veto « en tout état de cause »

Gérard Piketty