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05/03/2001 – Israël-Palestine : la paix est-elle encore possible ? – Antoine Sfeir, journaliste, directeur de la rédaction des Cahiers de l’ Orient

Le conflit entre Israël et la Palestine est une composante du conflit israélo-arabe. La succession des guerres intervenues depuis 1948 s’accompagne à la fois d’une montée des intégrismes et d’une désintégration de la citoyenneté. La paix entre Israël et l’Egypte ne fait que rendre le monde arabe orphelin de l’Egypte sans entraîner une véritable dynamique.

 

Ce n’est que lorsque les Palestiniens s’affranchissent de l’interventionnisme des autres pays arabes du Proche-Orient que prévaut la dynamique de la paix. Cela ouvre la voix aux accords d’Oslo, dont le résultat le plus important est l’affirmation de la reconnaissance mutuelle entre Israël et la Palestine, faisant exploser les stratégies de domination régionale de la Syrie.

 

Aux déchirures du monde arabe font échos celles qui traversent la société israélienne. Celle-ci est marquée par la domination ashkénaze, communauté minoritaire, qui détient l’essentiel du pouvoir. La communauté russe, d’immigration relativement récente et ne parlant parfois pas l’hébreu, constitue 20% de la population. Les Arabes de nationalité israélienne, chrétiens ou musulmans constituent également 20% de la population. Les partis ultra-orthodoxes sont les arbitres de toutes les coalitions gouvernementales. Israël s’arabise.

 

Les dernières négociations ont été l’occasion d’un spectaculaire rapprochement des positions sur les questions clés qui sont celles de l’Etat palestinien, des colonies de peuplement israéliennes dans les territoires occupés et des réfugiés palestiniens, disséminés dans le monde arabe.

 

Les Palestiniens auraient un Etat au sens plein du terme, et même une armée limitée. Cet Etat aurait pour territoire 92% de la Cisjordanie et du territoire de Gaza. 80% des colonies, correspondant à 20% de la population des colons, qui sont en tout 300000 personnes environ, seraient démantelées. Les réfugiés de 1948 ne reviendraient pas sauf quelques dizaines de milliers d’entre eux qui seraient admis en Galilée. Ceux de 1967 pourraient revenir. Cela aurait laissé tout de même intact le problème des Palestiniens qui vivent dans des camps, sans perspectives ni droits, notamment au Liban et en Syrie.

 

Jérusalem serait devenue la capitale des deux Etats. La vieille ville aurait été divisée. C’est tout de même la question de Jérusalem qui fut le principal point d’achoppement, en raison des intégrismes de toute sorte qui font de cette ville un point de fixation religieux, aussi bien chez les musulmans que chez les juifs.

 

Le nouveau gouvernement israélien est-il engagé par ces accords, qui n’ont donné lieu à aucune signature, les pourparlers ayant été interrompus par la défaite électorale de Barak ? En l’absence de réponse à cette question, il est tout de même possible de conclure sur les points suivants :

 

la citoyenneté s’est désagrégée dans toute cette région du monde. Il n’y a pas de démocratie dans quelque pays de la région que ce soit.

Israël  » s’arabise  » et devient cousin germain des arabes. Ainsi les Sépharades sont-ils plus proches des arabes que des Ashkénazes.

La perte de citoyenneté que ce soit chez les Arabes ou en Israël recrée le communautarisme.

Il n’y a pas de parité stratégique, mais une écrasante supériorité militaire israélienne. Cette supériorité s’étend d’ailleurs au domaine technologique. Le PIB israélien équivaut au double de ceux de la Syrie, de la Jordanie et du Liban réunis.

La violence est banalisée aujourd’hui sur cette terre trois fois sainte

Il n’en reste pas moins vrai que le chemin parcouru est immense. Les murs psychologiques sont tombés. La marche vers la paix est irréversible. Du moins est-ce ce que l’on peut affirmer si l’on veut croire à la victoire de l’homme sur les intégrismes qui gagnent le monde arabe et Israël.

Débat :

 

Pourquoi Arafat a-t-il refusé de signer la paix selon les termes qui lui étaient proposés ? Il a agi en tant que chef musulman. C’est après avoir consulté les autres chefs d’Etat arabes qu’il a annoncé son refus. C’est qu’il a constaté notamment le désaccord du roi du Maroc et la franche hostilité de l’Arabie Saoudite. Or ces deux Etats s’érigent en gardiens des lieux saints de l’Islam. Pourtant sur la question des réfugiés, il y eut quasiment un accord lors des négociations de Taba : 120000 réfugiés seraient retournés en Israël. Les autres auraient reçu un passeport palestinien et auraient pu revenir en Palestine. Ce refus de l’Arabie Saoudite devrait d’ailleurs dessiller les yeux de ceux qui s’imaginent que l’Arabie Saoudite est un allié de l’Occident.

 

Quelle est la position de la Syrie ? Quelle est son influence ? Hafez el Assad développait un discours de dirigeant arabe et une stratégie alaouite. Il cherchait à maximiser le rôle de la Syrie en contrôlant les maillons faibles de la chaîne arabe : Palestine, Jordanie, Liban. Il cherchait à empêcher ces pays arabes d’atteindre leurs objectifs afin de rendre la Syrie incontournable. En réalité, il a perdu son influence, sauf au Liban, à partir de 1991-92. En 2000, les Syriens sont sur la défensive. Pensons à l’accord militaire et économique conclu entre Israël et la Turquie, ces deux pays étant, avec l’Iran, les véritables puissances régionales désormais.

 

Comment la dynamique de paix peut-elle survivre à l’Intifada ? Le dialogue avec Israël est extrêmement important pour les Palestiniens. Ils refusent les dictatures de type arabe et ne veulent pas être rejetés dans leur sphère d’influence. Ce qui est choquant, et choque même les Israéliens, c’est l’attitude des colons, semblable en tout point au comportement colonial le plus éculé. Au-delà de la médiatisation de l’Intifada, il faut comprendre qu’elle est le reflet de resserrement quasi tribal qui saisit la société palestinienne lorsqu’un de ses membres est atteint dans son corps. Il faut également réaliser que le territoire de Gaza n’est qu’un immense taudis surpeuplé. Il ne reste pas grande perspective à ces jeunes et leur révolte est compréhensible.

 

Comment peut-on imaginer l’émergence d’une véritable citoyenneté compte tenu de cette mentalité clanique et de cette situation économique ? La paupérisation du Moyen-Orient en 30 ans est effarante : mortalité infantile, recul de l’éducation, etc. Il faut que l’espace francophone reprenne ses responsabilités, de même que l’espace méditerranéen.

 

Le gouvernement d’union nationale d’Ariel Sharon constitué sur des bases sécuritaires poursuivra-t-il la négociation ? Jusqu’ici les chefs de la droite israélienne ont toujours signé les accords de paix. D’autre part, Israël dépend des Etats-Unis. Enfin l’avenir des 5 pays du Proche-Orient est lié.

 

Arafat est vieux et malade. Il n’y a pas de dauphin. Ne va-t-on pas assister à une guerre de succession ? Il a la maladie de parkinson et à environ 70 ans, peut encore gouverner. Il y a une relève. Les islamistes sont minoritaires et ne constituent pas véritablement un danger.

 

Comment cet Etat constitué sur deux territoires séparés peut-il être viable ? Il y aura une autoroute Gaza-Jéricho. Les perspectives du port de Gaza sont bonnes : ce serait le seul port de containers de la région. D’autre part, les entreprises israéliennes ont besoin de la main d’œuvre palestinienne. C’est la multiplication des liens économiques entre les deux pays qui constituera la vraie réponse à cette préoccupation.

 

Qu’est-ce qui peut favoriser l’émergence de la citoyenneté au Proche-Orient ? D’abord c’est l’aide de l’Europe. Il faut que les résolutions des Nations-Unies soient respectées. Pourquoi serait-il juste que les juifs russes aient le droit d’émigrer en Israël alors que les Palestiniens n’ont pas celui de rentrer chez eux ?. Mais il faut également que les Etats confessionnels de toute nature ne soit plus acceptés. Le jeu des Etats-Unis, à cet égard, est suspect car ils ont favorisé les intégrisme, pour d’obscures raisons géopolitiques, qui ne représentent rien d’autre que leur manière d’imaginer leur rôle de gendarme du monde. Ainsi ils appuient un Etat des plus rétrogrades lorsqu’ils appuient l’Arabie Saoudite. Le concept d’Etat religieux conduit Israël également vers une impasse. C’est ce qui a incité Barak à proposer qu’Israël se dote d’une constitution qui aurait affirmé le caractère laïc de l’Etat ; mais il n’a pas abouti.

 

N’est-ce pas la crainte d’une domination économique Israélo-palestinienne qui a poussé les Etats arabes à rejeter la paix ? Certes les Palestiniens étaient les cadres de l’économie et de l’administration au Koweït, mais ils furent renvoyés du jour au lendemain après la guerre du golfe. Il y a une certaine continuité des peuples du Proche-Orient qui peut laisser penser, qu’en cas de paix, un tissu socio-économique régional se constituerait assez naturellement.

 

Comment la loi du retour peut-elle être conciliée avec la laïcité de l’Etat d’Israël ? Si cette loi était abrogée, n’est-ce pas la raison d’être même d’Israël qui disparaîtrait ? Ce sont les pionniers qui voulaient qu’Israël soit un Etat laïc. Il ne faut pas confondre Etat juif et Etat des Juifs.

 

Les Etats arabes de la région ont rejeté la paix en dépit de l’aspiration générale à cette paix. Peut-on imaginer qu’il puisse jamais y avoir la paix si la démocratie ne prévaut pas ? Les raisons du refus sont diverses. C’est principalement sur la question des lieux saint de l’Islam que la paix a achoppé. Certes la plupart des voisins d’Israël et de la Palestine affirment qu’ils ne souhaitent pas intégrer les réfugiés palestiniens, mais c’est une position de négociation

 

Pierre Nassif