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04/10/2010 – Dégradation du discours public – Jean Michel Rey

La dégradation du discours politique

J.M. Rey a été frappé par des effets de langage, a été stupéfait d’entendre certains énoncés politiques. Toute politique relève du « faire croire ». Or, être citoyen, c’est prendre le temps d’écouter ce qu’on nous dit, ce qu’on nous somme de croire, ce qu’on nous prescrit. Le citoyen doit évaluer le ton, le style de ce qu’il entend, comment ça se formule, s’énonce.
Ce qui frappe d’abord c’est l’abondance des déclarations, des commentaires. Le politique devient un communicant. Et c’est un discours de puissance, qui s’énonce d’une place de puissance. Prenons l’exemple de l’affaire Woerth : « Comment un homme comme moi (comme lui) pourrait-il avoir fait ce qu’on me (lui) reproche d’avoir fait ? » Il n’ y a pas d’argumentation !
Les dirigeants parlent, et les gestes, les actes, viennent contredire ce qu’ils disent. Mais on passe à autre chose très vite. Sarkozy peut dire des contrevérités assénées avec toupet comme « Les enseignants du supérieur ne sont jamais contrôlés » alors que J.M. Rey est passé devant une trentaine de commissions.
Celui qui objecte, qui émet des réserves sur l’action du pouvoir, est remis en question, disqualifié. « Ce sont les élites, les intellectuels du café de Flore qui disent ça… » entend-on, ce qui a des accents maurrassiens. On oppose le peuple que l’on comprend, aux élites intellectuelles, comme quand on dit : « Il n’ y a aucune raison que les contribuables payent pour des études qui ne mènent à rien. »
On assiste à un raidissement défensif, un refus crispé de la moindre critique. Quand M. Hirsch pose la question des conflits d’intérêts chez les hommes politiques comme Longuet ou Copé, des collusions entre les hommes politiques au pouvoir et leurs amis financiers, on évacue la question avec une grande violence vis-à-vis de celui qui la pose, comme Copé qui dit : « Il a sali l’honneur de Longuet. Je suis déçu car ses parents comme les miens ont été sauvés par des Justes et je me demande s’il ne se livre pas à un exercice de délation ». La question posée est évacuée avec une rare violence contre celui qui la pose.
Au nom de l’unité, on aggrave les tensions, comme quand en 1972 Pompidou gracie Paul Touvier : « Le moment n’est il pas venu de jeter le voile, d’oublier ces temps où les français ne s’aimaient pas… » Il y a là une violence implicite, analogue à celle de la phrase de R. Barre après l’attentat de la synagogue Copernic : « cet odieux attentat a frappé des français innocents », c’est-à-dire non juifs…puisque les juifs n’étaient pas encore sortis de la synagogue.
La phrase de Pompidou fait appel au bien de tous, comme celles de Sarkozy qui invoquent la sécurité et les victimes des faits divers pour faire passer de nouvelles lois sécuritaires pour leurs effets d’annonce : « Je suis évidemment du côté des victimes ».
Pour pouvoir réformer, au nom de la rationalisation, du pragmatisme ambiant, c’est-à-dire attaquer la psychiatrie, l’hôpital public, l’éducation nationale, les institutions démocratiques publiques ou instituer le dépistage des enfants violents dès 3 ans, donc pour se mettre hors de toute atteinte, on stigmatise d’abord ses adversaires en usant des ressources de la rhétorique pour disqualifier la contestation démocratique. Par exemple, D. Payet, à propos d’Edwy Plenel, dit : « Il a sur les mains pas du sang, mais quelque chose qui y ressemble », faisant référence à un « complot médiatico-trotskyste ». Il s’agit de faire taire l’autre, déclarer des coupables dont on a besoin pour faire diversion à tel ou tel moment, comme les Roms. On a parlé d’une droite décomplexée quant à l’argent, pour JM Rey, elle est aussi libérée de tous les freins quant au langage. Elle se met hors la loi pour dire la loi. Faut-il craindre un Patriot Act à la Bush ? Il faut craindre ce discours de puissance où certains, fortement menacés par le vide de leur discours, énoncent la violence d’une politique de division.

Q _ Vous n’avez pas parlé du rôle des médias qui incitent les hommes politiques à trouver la formule reprise en boucle pour faire parler d’eux comme les publicitaires. Peut-être le lapsus de Rachida Dati lui a été utile, on a parlé d’elle, elle est revenue dans tous les médias. Sarkozy a fait une conférence de presse où il annonce solennellement : « Je vais étendre l’assurance chômage aux CDD » Or, elle existait déjà. Aucun média n’a repris cette énormité alors que j’avais écrit à tous les médias pour le signaler. Il y a une complicité de la presse.
R_ La presse devient un enjeu. On voit comment on essaie de réguler les médias.

Q_. Il y a un problème autour de la légitimité. Notre président pense que parce qu’il est élu, toutes ces décisions sont légitimes. Pas de négociation, il faut affaiblir tous les contrepouvoirs. Ils peuvent tout se permettre car il ne faut pas les empêcher de réaliser leurs objectifs.
R_ Ils cherchent une relégitimation continuelle par le discours, mais sans expliciter, sans argumenter, en faisant oublier, et par la violence verbale.

Q_ Quelle analyse faites-vous du discours tenu par l’opposition ?
R_ Elle se laisse piéger, elle ne démonte pas ces pièges.

Q_ On peut considérer que pour être élu il faut mentir. Mais jusqu’à quel point ? C’est l’amalgame, la mise en scène, la communication remplace l’information. Le grand drame, c’est que la confiance en la démocratie est atteinte. Marine Le Pen il y a 8 jours était redoutable, sans faux-semblant, d’un populisme mordant.
R_ Le pouvoir cherche à restaurer cette confiance en lui, mais les moyens sont dévastateurs et la confiance se détruit encore plus.

Q_ La question des médias, c’est leur rapidité, on est obligé de passer aux formules qui font mouche, simplistes. Depuis De Gaulle, on en est venu au zapping.
_ « La politique, c’est l’art du possible » disait Mendès. Or Sarkozy fait référence au bon sens, pas à une réalité documentée, ni en fonction d’un idéal.
_ Vous parlez de guerre civile en France, il ne faut pas abuser de ce terme.

R_ Périodiquement en France, il y a un mouvement de fond qui correspond à une extrême division dont le discours politique me semble être une forme assez violente, qui vient creuser le différend. On en arrive à des mensonges et à des dénis, comme quand Besson dit : « nous sommes le premier pays d’asile. Or on peut dire qu’on est le premier pour les demandes, mais pas pour les asiles accordés ! On a enclenché une mécanique pour que des discours avant rejetés deviennent audibles. On se pose en victime d’un complot _ Il y a surtout un vide idéologique. Il n’y a plus d’idées ! _ A chaque fois, on recherche un bouc émissaire !

Q_ Ne pensez-vous pas que Bayrou cherche à réhabiliter un discours politique ?

R_ C’est une tentative pour redonner une consistance au discours politique.

Q_ Mais quelle est la finalité de ces discours ?
Q_ C’est la théorie du choc, on bombarde les gens il y a un tourbillon, et avant qu’ils n’aient eu le temps de réagir, les réformes passent.
_ Il y a un changement depuis 3 ans, une cohérence entre des éléments hétérogènes dans ces réformes, et d’abord on caricature ce dont on veut se détacher.
_ Sarkozy dit : « Je suis comme vous, je parle comme vous ». Mais le discours d’un homme politique reconnaît quelque chose de plus grand que lui. La force de Marine Le Pen c’est que son discours semble plus grand qu’elle !

Q_ Que pensez-vous de la façon dont la France communique sur le plan international ?
_ La France ferme ses centres culturels _ Le langage de Sarkozy est primaire mais symbolique et répétitif, ce qu’il faut pour être réélu, comme celui des publicitaires qui veulent vous faire acheter une voiture, ils mettent une jolie femme à côté _ Il y a une tentative pathétique de rassembler autour de concepts qui ont marché, sécurité, identité nationale. Mais la politique peut-elle se remettre de la mort des idéologies ?

R_ La manière dont on unifie des différents secteurs sur le modèle de l’usine, n’est ce pas une idéologie ? Mais le discours est vide, on ne démêle pas les causes, les effets, à part les dénis et la violence verbale.
Q_ Le fonctionnement des institutions n’est plus respecté. Ce que veut le président fait loi.
Q_ Sarkozy est l’employé des grands opérateurs économiques qui veulent remettre les gens au travail. Pour cela, faire passer les réformes pendant qu’il amuse la galerie.
_ C’est l’attaque contre le programme de la Résistance. Il est le mandataire pour casser les acquis. Son gouvernement n’a aucun sens de l’Etat, ce sont des HEC sans aucune éthique, comme Woert qui dit « Je n’ai rien fait d’illégal »
_ Sarkozy cherche juste à être réélu. Il s’agit de séduire par le populisme. Le discours « on va préserver le modèle français » n’est qu’une diversion pour dénier ce qui est fait : de l’ultralibéralisme. La gauche se drape dans ses valeurs mais n’arrive pas à inventer un discours.

Sylvie Cadolle.