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04/05/2015 – L’Iran aujourd’hui – Farad Khosrokavar

Exposé

La dimension géopolitique de la région, bien établie de puis longtemps, s’est transformée fondamentalement depuis 2 ans du fait :
1. des répercussions de la guerre civile en Syrie.
DAECH s’est constitué sur les ruines de l’armée irakienne ainsi que sur la fragmentation politique en Syrie et en Irak. En Syrie, l’islamisme radical fait de DAECH et du front Al Nosra a bouleversé beaucoup de choses.
Près de 4000 européens se sont enrôlés dans leurs rangs. DAECH aligne 30000 combattants dont 1/3 d’origine étrangère, venus de partout sauf d’Amériques latine.
Du coup en Europe, Bachar el Assad est perçu comme un moindre mal. La lutte contre DAECH est jugée plus importante. L’Iran est en première ligne à ses côtés.
2. De la signature probable du traité « nucléaire » avec l’Iran où le Guide suprême est en mauvaise santé et pense qu’il faut l’accepter pour ne pas risquer de mettre en cause le régime.. Cette signature entraînera de facto une convergence irano-américaine mal acceptée par l’Arabie saoudite et Israël mais qui ne pèseront pas face à la real politik des USA et de l’EU.
Pour consolider sa position et faire taire les opposants, le Guide s’est engagé dans une politique de domination du MO. L’Occident lui a déjà supprimé ses deux ennemis irakiens et afghans (talibans). L’Arabie saoudite n’a pas d’armée réelle. L’Égypte a trop de problèmes intérieurs à régler.
Reste la question de la survie du régime après sa mort. Beaucoup de prétendants à l’intérieur voient d’un mauvais œil l’hégémonie des chiites :
• Les Pasdaran qui forme une mafia économico-militaire tentée de prendre le pouvoir
• Un noyau dur d’une société civile bien éduquée avec 4 millions d’étudiants dont beaucoup de haut niveau étudient aux USA, en France à l’X, , un cinéma qui produit de bons films, un énorme marché littéraire dominé par des femmes pas très âgées et qui n’a rien d’islamique.
La Culture se démarque ainsi de la théocratie chiite (équivalent français de l’opposition Droite-Gauche). Les plus grands théologiens la dénoncent et critiquent aussi son maintien au pouvoir. Beaucoup de penseurs occidentaux sont traduits en iranien. Seulement 10 à 15% de la population serait traditionnaliste au sens religieux du terme.


Cette élite tente à chaque fois de reposer la question de la dignité du Citoyen. Le gouvernement réprime mais ne convainc pas.
Les méfaits de la manne pétrolière empêchent de renverser le pouvoir par la violence mais permet des remises en cause partielles grâce notamment à un mouvement des femmes très vivace militant pour l’égalité homme-femme. Ainsi le mouvement « vert » en 2009 contre la fraude fiscale dont la répression fit 150 tués et 4000 torturés ce qui est dérisoire par rapport à la Syrie (200 000 morts). Le gouvernement agit plus finement avec beaucoup de perversité dans l’exercice de la violence.
Je ne pense donc pas qu’il y ait un risque de guerre civile. On ne résoudra pas par la violence une question politique majeure et il y a un réalisme de la société civile, loin des utopies échevelées..
La domination iranienne du MO fera davantage appel au soft power. Le pouvoir sait éviter les aventures. Le premier souci de l’Iran sera de moderniser ses infrastructures, notamment pétrolières et de renouveler l’appareil industriel.
On est dans une situation de gesticulations et de rodomontades sans explosion. Avec un redimensionnement géopolitique et une convergence avec l’Occident.

Débat Q1. Impact de l’évolution de la Turquie ? L’explosion ne pourrait-elle venir de la compétition Irano-turque.
Que pèse l’élite culturelle face au conservatisme rural ?
R. – Il y a une complicité économique énorme entre les deux pays. Beaucoup d’échanges. Avec les kurdes, situation paradoxale : Relations importantes de la Turquie avec le Kurdistan irakien, de facto où l’on ne parle plus arabe.
– Les zones rurales en Turquie ne sont pas très conservatrices. Elles sont devenues des zones de consommation. Les forces conservatrices représentent environ 15% de la population des villes comme à la campagne. La jeunesse bouge. . L’élite culturelle se sent encore dominée au plan politique.

Q2. Problème palestinien ?
R. Le Hezbollah a une dimension politique importante pour l’Iran à la différence du Hamas qui a une conception cynique de ses relations avec l’Iran.

Q3. – Que pensez-vous de la politique française ? On est décontenancé par une politique qui s’oriente davantage vers les États sunnites.
– Que penser des Houtistes au Yemen ?
– La guerre Iran-Irak marque encore beaucoup les esprits. Pas de jeunes dans les mosquées. Beaucoup d’objets de consommation chinois à Téhéran.
– Réaction de la Chine face à l’ouverture vers l’Occident avec le traité nucléaire ?
R. La politique française penche aujourd’hui vers l’argent des sunnites face à un Iran encore très désargenté. Les américains seront les premiers à être favorisés par les suites du traité nucléaire. La France est présente au niveau des discussions mais image négative de Fabius. Une inflexion reste possible : il faut être pragmatique.
– La population est plus proche de l’Occident que de la Chine qui devra accepter une ouverture du marché. Il y a un enjeu de liberté d’expression en Iran qui joue dans ce sens.
– Au Yemen les iraniens rendent la monnaie de leur pièce aux saoudiens après ce qu’ils ont fait à Bahrein. Rien de moral dans ce jeu. Le sens de l’État est incomparablement plus fort en Iran qu’en Arabie S.

Q4. Quid des relations Russie-Iran ?
R. Les deux pays ont eu une frontière commune pendant longtemps. La Russie a voté l’embargo avec l’Occident. L’Europe ne peut plus donner le « la » dans la région. Elle est le premier contributeur économique mais un nain politique par rapport aux USA qui sont pourtant en déclin dans la région. L’Amérique ne veut plus intervenir par son armée de terre dans la région. L’Iran comble le vide et est seule à lutter contre DAECH.

Q5. Les djihadistes se radicalisent. Quid de l’opposition sunnites-chiites ?
R. Les sunnites ne s’identifient pas comme un bloc. DAECH fait autant peur à l’Arabie Saoudite qu’à l’Iran. Sa situation est très fragile (compromis entre la famille royale et les oulémas). Elle ne finance plus DAECH (qui s’autofinance par la vente de pétrole à la Turquie).

Q6. Pérennité de DAECH ?
R. Sur le court terme (quelques années) pas de problème. DAECH sera là. Qui peut s’opposer à eux qui occupent un territoire équivalent au 3/5 de la France : les forces locales sont en décomposition. Les USA n’acceptent que de bombarder. Le Kurdes défendent leur territoire et n’ont pas la capacité d’en faire plus.

Q7. Que penser de la relation entre l’Iran et l’Afghanistan où l’on parle à peu près la même langue. ? Avec le Pakistan ?
R. Le Pakistan a l’arme nucléaire et un État à la différence de l’Afghanistan. Jeu pervers entre Pakistan et Afghanistan dû au conflit Pakistan-Inde. L’Iran a beaucoup aidé les occidentaux lors de la guerre contre les Talibans malgré l’attitude négative de G W Bush qui rangeait l’Iran dans « l’axe du mal ».

Q8. Quid de l’armée iranienne à côté des Pasdarans ?
R. Elle est très faible. On a surestimé le nombre des morts dans la guerre avec l’Irak. On les évalue aujourd’hui à 300 000 et 200 000 en Irak mais la forte intrication irano-irakienne tempère les ressentiments.

Q9. Évolution des Droits de l’Homme en Iran ?
R. Le pouvoir ne peut aller trop loin contre en raison du noyau dur de la société civile. Beaucoup de femmes activistes qui bravent le pouvoir qui ne peut les tuer. C’est donc une lutte à fleurets mouchetés. Le pouvoir ne désire pas trop s’aventurer sur ce terrain par peur de ne pas maîtriser l’issue.
Q10. Quid de minorités en Iran ?
R. Chrétiens et juifs (30000, communauté la plus importante du MO) sont sous pression mais ne sont pas réprimés à la différence de la communauté Bahaï qui a le mauvais goût d’avoir un prophète plus récent que Mahomet (http://info.bahai.org/french/) et d’être prospère.

Q11. Poids de l’émigration iranienne dans la vie politique intérieure ?
R. 3 millions d’iraniens sont partis. Communauté très éduquée qui, aux USA, a un niveau de vie moyen supérieur à la moyenne des américains.

Gérard Piketty