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04/02/2008 – MIGRATIONS//MONDIALISATION – Damien Conaré, du Courrier de la Planète

Exposé

On ne peut qu’être étonné par le contraste entre la mobilité générale des capitaux et des biens et services à l’échelle de la planète d’une part et les entraves persistantes à la mobilité des personnes de l’autre. Contraste aussi entre d’une part le bel unanimisme des ONG à mettre en cause leur nature et leur efficacité et d’autre part la gestion de fait des gouvernements qui, au delà des discours, n’en tiennent pas compte (à l’exception du Canada et de son immigration choisie).
Alors que les besoins démographiques et économiques de nos pays sont évidents au regard d’une fécondité (1,5 enfant/femme dans l’UE) qui n’assure pas le renouvellement de la population, on peut se demander si les États ne s’accrochent pas davantage au contrôle de leur immigration comme à un des derniers vestiges de leur souveraineté.
Il y avait 60 millions de migrants ou 2% de la population mondiale en 1960. Nous en sommes aujourd’hui à 200 millions soit 3% de la population mondiale.
La perspective historique dessine trois grandes périodes :
1. 1494-1820 mouvements de population liés à la découverte du « nouveau monde » i.e à la colonisation. Il s’agit d’une émigration sous contrainte.
2. 1820-1914 période d’émigration libre principalement vers les USA (80%) suivie d’une pause jusqu’en 1945.
3. Depuis 1945 période d’immigration sous contrainte : l’Europe redevient une terre d’immigration à l’inverse de l’Amérique latine. De même les pays du golfe Persique.
L’Afrique reste une terre d’émigration. Les flux Sud-Nord se montent à près de 60 millions comme les flux Sud-Sud et les flux Nord-Nord alors que les flux Nord-Sud viennent loin derrière avec 14 millions de migrants.
Les principales régions d’accueil sont aujourd’hui l’UE (34%), l’Asie (28%), l’Amérique du Nord (14%).
Les Philippines et le Mexique sont en tête des régions de départ, tandis que l’Australie a la plus forte population immigrée (23%). Toronto détient la palme pour les villes avec 44% d’immigrés.
Les principaux corridors sont dans l’ordre : Mexique>USA, Russie>Ukraine, Bengla Desh>Inde, Turquie>Allemagne. 20% de la croissance des migrations se fait à l’intérieur de l’ex-URSS. On constate une pression culturelle à la mobilité : ainsi en Australie il y a plus de migrations temporaires que définitives. Ceci est le résultat de communautés se créant entre les migrants et leurs pays de départ conduisant à un moindre besoin d’intégration.
Les migrations vers les USA issues du Mexique étaient majoritairement temporaires jusqu’à ce que Clinton déclenche en 1994 une lutte contre les arrivées clandestines poussant, à l’inverse du but recherché, à la sédentarisation des migrants.
Dans l’UE, le traité d’Amsterdam de 1997 a conduit à une coordination des politiques migratoires pour éviter trop d’appels d’air dus aux pays laxistes à l’intérieur de l’espace dit de Schoengen. Le statut des résidents de longue durée ainsi que du regroupement familial ont été précisés. Une baisse de moitié des demandeurs d’asile est constaté depuis 2001 en raison de la sévérisation des conditions d’acceptabilité des dossiers. Les politiques coordonnées de lutte contre l’immigration clandestine ont conduit à la spectacularisation de ces migrations concentrées sur des corridors de plus en plus limités. Depuis 2004 les contrôles aux frontières de l’espace de Schoengen sont de plus en plus externalisés hors de cet espace sur les routes de migration.
Depuis 2005 on assiste à une inflexion des politiques sécuritaires permettant la relance d’une immigration de travail au travers de « l’immigration choisie ». L’objectif d’attirer des migrants diplômés est néanmoins contrecarré par le maintien d’une politique répressive à l’égard de l’immigration non qualifiée.
François Héran de l’INED, dans son livre « Le temps des immigrés », constate que les politiques d’immigration choisie ont été partout des échecs en ce qu’elles n’ont tari ni l’immigration clandestine ni le regroupement familial.
Les migrants sont en France à l’origine de 8 G€ de transferts financiers vers les pays d’origine (200 G€ au niveau mondial soit plus que l’aide publique au développement). D’où l’idée d’abonder ce flux pour mieux favoriser des projets de développement dans les pays de départ et freiner l’émigration (co-développement). À court-moyen terme, on s’aperçoit que leur développement s’accompagne d’une augmentation de l’émigration des gens formés au point que certains pays, comme les Philippines ou le Bénin, ont en fait une stratégie de rentrée de devises. À plus long terme, une fois le développement réussi, le phénomène s’inverse (Cf. Italie, Malaisie, Corée, l’Inde avec le retour des informaticiens à Bengalore etc…). La conférence de l’ONU de 2006 sur migration et développement, n’était qu’un « Dialogue de haut niveau » n’engageant à rien les pays concernés. Il n’existe aucune autorité internationale, du type OMC, capable de générer une gouvernance des migrations au niveau de la planète, les pays s’accrochant à leur souveraineté en la matière.

Débat Q1. Pouvez-vous détailler le chiffre de 60 millions de migrants caractérisant l’immigration Sud-Sud ? Il y a notamment 15 millions de travailleurs étrangers dans les pays du Golfe qui viennent d’Asie pour les 2/3 et des pays arabes. Beaucoup de ces derniers ont été formés en Egypte dont le gouvernement a ainsi favorisé le développement des pays riches où leur traitement est multiplié par 10.

Q2. Pourquoi opposer immigration choisie et immigration subie ? On peut avoir les deux en même temps.

R. L’immigration choisie appelle ensuite le regroupement familial qui est « subi » sauf à considérer, comme au Canada, que l’immigration choisie concerne aussi les familles. À défaut, il est impossible d’arriver à ce que l’immigration choisie puisse égaler ou dépasser l’immigration subie. On est en effet tenus par des engagements internationaux sur le regroupement familial.
Il y a aussi depuis 1990 une convention internationale sur les migrants, mais qui n’a pas été ratifiée par les pays d’immigration. Elle n’en a pas moins été utilisée aux Prud’hommes pour reconnaître des droits à un travailleur clandestin.
S1. Depuis 2006 une activité diplomatique importante a permis d’engager un dialogue entre pays de départ et pays d’accueil débouchant sur la création d’une section spécialisée au sein de l’ONU partant du présupposé que les migrations peuvent être intéressantes pour les deux côtés.
R. L’émigration « choisie » a relancé la question de l’immigration de travail. C’est bien même si cela vient de la Droite. Je suis plus réservé sur le co-développement entendu comme l’abondement par les États des transferts financiers des travailleurs migrants vers leurs pays d’origine pour y favoriser les développements d’activité.
S2. Pourquoi vouloir lier le financement des projets de co-développement à des transferts financiers des migrants ? Les projets peuvent résulter d’une valorisation dans une même entreprise des compétences respectives des migrants qui connaissent bien le pays d’accueil, son marché, ses exigences et de travailleurs dans le pays d’origine qui peuvent produire à des coûts avantageux. Ce qui manque alors c’est le capital de départ et un fonds de roulement qui ne sont pas liés logiquement aux transferts financiers. S’en tenir à un abondement des transferts financiers n’est pas suffisant.
R. Oui, on est là dans la problématique des délocalisations qui doivent être vues, en particulier par la Gauche française ambiguë sur ce point, comme un véritable instrument de solidarité entre les pays. Ceci dit on délocalise plus facilement en Tunisie qu’au Burkina Faso !
S3. Les flux financiers liés aux transferts croissent très rapidement au point que plusieurs pays (Philippines, Bénin …) en font véritablement une stratégie d’exportation i.e de rentrée de devises. Au Maroc, c’est la deuxième source de devises peu après le tourisme. Cet argent est-il bien employé au service du développement du pays ? Non sans doute, beaucoup est dépensé dans des consommations ostentatoires de faible intérêt. D’où l’idée d’abonder les transferts lorsque cela permet le lancement de projets de développement intéressants sur place.

Q3. L’immigration familiale augmente-t-elle ?

R. Le regroupement familial proprement dit se réduit naturellement au fur qet à mesure qu’il s’opère. Le gros de l’immigration familiale est lié au mariage de jeunes migrants avec quelqu’un du pays.

Q4. Que pensez-vous des quotas ? Généralement vilipendés, ne pourraient-ils pas pourtant constituer un moyen quasiment indispensable de négociations entre le pays de départ et le pays d’accueil en particulier pour maîtriser la fuite, le pillage diront certains, de main d’œuvre qualifiée par les pays d’accueil, mais aussi pour asseoir concrètement des contreparties apportées par le pays d’accueil en termes d’aide aux infrastructures de formation par exemple ?

S. Pourquoi vouloir encadrer l’immigration par des quotas ou assimiler immigration subie à immigration non qualifiée ? L’important est de lutter contre la spectacularisation du phénomène d’immigration qui joue avec nos peurs. Y a-t-il une prospective sur 50 ans en matière d’immigration ?

R. L’idée de quotas vus comme instruments de négociations de contreparties au bénéfice du pays de départ est a priori bonne même si cela n’empêchera pas une immigration clandestine d’une MO qualifiée désireuse de bénéficier d’une rémunération bien supérieure dans le pays d’accueil. De toute façon, on voit que c’est par le biais des quotas qu’est relancée «l’immigration de travail». Quant à la prospective, rien de consistant au-delà de l’apparition de migrants « climatiques » dont le nombre pourrait être à terme de l’ordre du milliard….

Gérard Piketty