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04/11/2019 – Défi climatique et démocratie – Lucile Schmid

Exposé : L. SCHMID se présente d’emblée comme présidente du think-thank La fabrique écologique (LFE), actif depuis 2013, caractérisé par une double approche,  transpartisane et d’association public-privé. LFE opère d’une part dans un enjeu d’expertise, d’autre part  dans la construction de propositions opérationnelles.

Avant de poser la question « démocratie et écologie », il convient de relever que la France résiste à l’écologie qui n’est pas reconnue, en particulier par les entreprises, en raison de plusieurs difficultés. 1° Le lien démocratie-écologie ne va pas de soi car les compétitions de pouvoir au niveau national (élections…), quinquennales, très centralisées, ne sont pas faites pour les préoccupations écologiques. 2° Le modèle politique et administratif français est très centralisé et personnalisé, présidence de la République, ministère des finances… Les préoccupations écologiques sont plus présentes dans la société que dans les niveaux centraux ; ministère de l’écologie, « ministère de l’impossible », de la parole, longtemps sans administration. 3° Refus de l’Etat et des institutions de jouer un rôle très central (politique d’Aménagement du territoire, nucléaire…). En revanche, au niveau régional (Alsace, Bretagne…) local, voire individuel la culture écologique est plus forte. 4° Difficultés constitutionnelles 60% des lois écolos françaises viennent de règlements ou dircetives européennes (au Danemark , en Belgique initiatives législatives plus nombreuses). 5° Difficultés scientifiques : L’on s’est tardivement habitué au  GIEC, qui pourtant existe depuis 1988, dont les rapports sont désormais largement relayés par la presse ; mais difficulté d’intégrer les faits scientifique, de placer les enjeux à la hauteur de chacun, dans un sentiment de fin du monde.

                Toutefois, l’écologie est devenue un domaine d’élaboration et d’action démocratiques plus général: sensibilité des jeunes, phénomène Greta Thornberg qui relaie le discours scientifique… Le principe de réalité s’impose aux titulaires du pouvoir malgré le rythme électoral pluriannuel de la démocratie classique. Des lanceurs d’alerte plus nombreux se déploient sur l’écologie. Des procédures sont engagées devant les juridictions : procès en Hollande, aux USA, « Affaire du siècle » en France (une  pétition recueille près de 2 millions de signatures & saisine du Trib.Admin. de Paris). La question écolo entre dans une dimension électorale plus accusée : 13% des voix pour  la liste écolo aux élections européennes de mai 2019 ; même la liste Envie d’Europe écologique & sociale (Gluksman) a fait une place à l’écologie. 

Au niveau économique mondial et global apparaît la difficulté de mettre en accord d’une part la mondialisation corollaire d’un système économique fondé sur la croissance, d’autre part et les propositions des rapports du GIEC. Ainsi à l’heure du Rapport de 2018, les scientifiques étaient-ils réticents à formuler expressément eux-mêmes un taux de réduction de GES, or certains politiques voulaient leur faire « imposer » un taux de 1,5%, pour ménager les petits Etats au lieu du taux de 2% prévu dans les accords de Paris. De même si globalement l’on peut fixer la part de ressources fossiles à laisser sous terre, il n’est pas possible pour les scientifiques eux-mêmes de fixer la part Etat par Etat. Ce sont des décisions politiques. En 2020, les Etats devront respecter la feuille de route des Accords de Paris, mais impossible de l’imposer, par exemple à l’Inde, à la Chine…aux USA…C’est pourquoi, conscient de cette impasse, Antonio Guterres (SG de l’ONU) a tenté en sept. 2019 d’impliquer les Etats et les grands groupes industriels (voir Jeff Bedos avec ses salariés) tant il  est nécessaire d’associer les Etats et les grands groupes privés.

Autre problème, la vulnérabilité à la nature (sécheresse, eaux, côtes, terres basses, inondations, cataclysmes naturels…) de certaines régions (Asie…) et pays (France, Grande-Bretagne, Pays-Bas…). Au sujet de la lutte contre les dérèglements climatiques, même le monde écologique est très segmenté et il a fallu remonter la pente (voir « Les mondes de l’écologie », in Revue Esprit 2018/1, janv-fév.) 

En ce sens, en France, le Grenelle Environnement de fin 2007 a mis autour de la table des mondes différents : grandes entreprises, élus, hauts fonctionnaires, scientifiques, experts en énergie, responsables d’ONG… et montré la nécessité d’une action commune de tous les secteurs sociaux et économiques.

Prise de conscience de l’inquiétude des citoyens par le Président de la République lui-même. Nécessité de mesurer les différents mondes sectorisés, sans culture commune et de les mettre à niveau sans vision ni « bisounours », ni trop irrationnelle.

1) Des actions doivent être engagées dans la société pour développer culture commune et  langage commun écologiques. Mais pourtant dans le nouveau baccalauréat, les choix restent trop segmentés et non harmonisés. De même à l’Université, les domaines restent segmentés, non transversaux, sans socles communs, en vue de culture commune.

2) Pour relier science et démocratie il conviendrait que les scientifiques portent les projets avec les jeunes (voir Dominique Bourg).

Il importe de procéder à une réflexion sur la croissance qualitative (voir « l’homme augmenté » et la collopsologie), la juste valeur donnée à la nature et sur la croyance dans le progrès technique selon laquelle que « tout viendra de la technique ».

3) Il convient de construire l’articulation entre le social et l’écologie et de sortir de la paralysie fondée sur  l’opposition entre justice climatique et justice sociale. L’on ne peut se borner à augmenter les taxes, comme l’ont montré les Gilets jaunes, et recréer de l’injustice avec le modèle écologique.

4) Plutôt que de poser  le dilemme croissance/décroissance, il est nécessaire de rechercher une croissance raisonnée…ou d’opposer écologie/économie, les choix économiques consistent à hiérarchiser les investissements en fonction de priorités écologiques. Par exemple, s’agissant de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen en 2019, l’on constate un décalage complet entre le souci d’ordre public de l’Etat et la nécessité de rassurer les populations et leurs enfants en raison des nuages de fumées et des effluves et odeurs…S’agissant de l’agriculture, beaucoup est à accomplir ; la science n’est pas l’absolu et doit se concilier avec la nature.

Dans le sens de la conversion des choix en vert, de nouvelles  réalités apparaissent. Ainsi le manifeste des élèves des grandes écoles qui affirme leur volonté d’être des citoyens qui agissent dans l’entreprise avec une portée écologique et non de se borner à venir au travail en vélo…L’on observe la conversion des patrons et la prise en charge matériellement, concrètement, d’actions…Mais quid en termes de politique générale, quid du 2%… (Danone est le premier fournisseur de plastiques pour ses produits) ?

Question : Le discours écologique est punitif, comporte des effets gigantesques et le renoncement à nos modes de vie…

R. L.S. : L’écologie est présentée comme un lourd chemin à parcourir, mais il faut prendre conscience que c’est pour  la Nature. Certes le discours dominant est celui d’une culpabilisation permanente, mais il importe de promouvoir et de créer des convictions personnelles intimes et chiffrées paisibles. La bonne façon de venir à l’écologie consiste à prendre en considération la Nature. Certes les bouleversements climatiques et le réchauffement paraissent affolants et irréversibles, mais au contraire, la Nature est plus réversible qu’on le croit : quand on abandonne les pesticides ou de mauvais produits, la Nature renaît. L’enjeu de la bio-culture est la Nature et la lutte contre le réchauffement climatique.

: Il faut imaginer un discours non dramatique ni catastrophique, mais plus positif.

: Au-delà d’une écologie de contrainte, il faut observer et prendre en compte  l’évolution des mentalités ; par exemple la loi Evin sur les restrictions à l’usage du tabac montre qu’en vingt ans l’on assiste à une acceptation de ces restrictions. Paris exprime désormais une soif de nature. C’est une reconstruction des mentalités.

Q : Nos gouvernants croient-ils à l’écologie ? La conférence citoyenne est-elle une diversion ou a-t-elle un sens positif ? Nos gouvernants  ne se sentent pas investis du pouvoir de faire quelque chose et l’écologie est toujours au-dessous de la pile des dossiers.

R : Par exemple, dans le domaine du recyclage des déchets et de l’économie circulaire (loi de 2009, projet de loi sur l’économie circulaire de 2019…), l’Etat agit très concrètement. Toutefois, la corruption et l’emprise des maffias y est très forte. Donc l’efficacité nécessite davantage de contrôles et davantage de fonctionnaires pour assurer le respect des normes et des lois. Les pratiques écologiques imposent de renforcer la puissance publique. Un Etat écologique est un Etat qui peut s’exprimer  dans les choix budgétaires, l’évaluation des politiques publiques, le respect de la loi, l’accompagnement des collectivités territoriales…Paradoxalement, que peut faire le ministère de l’agriculture, très productiviste ? Indemniser les agriculteurs ruinés par un changement d’agriculture ?

: Faut-il abandonner les industries du luxe qui sont pourtant très fortement exportatrices ? Que faire de l’avion, du transport aérien et de la construction aéronautique? (voir les cas de l’Inde qui mise sur les lignes intérieures).

: S’agissant de l’avion, faut-il promouvoir une aviation économique ? Établir une taxation du kérosène ? Réduire les voyages en avion ?

Les industries du luxe posent notamment la question du textile dont la production est très coûteuse en eau et en coûts humains (catastrophe du Rana Plaza à Dacca en 2013, Tiruppur [knit city]..). Notre pratique de changement de vêtements est en cause. Il faut « écologiser » l’industrie du luxe.

La prise de conscience de la Chine l’a conduite à prendre la place des USA dans les COP.

Q : Je n’ai pas de « conviction écologique » et, en tant que géographe, je constate des réalités objectives, telles que la montée des eaux. Les phénomènes observés sont des éléments de la vie.

R : On entre « en écologie » comme on veut ou on peut. Il convient de redonner le sens concret du « territoire ». Au sujet des risques climatiques, les plans de prévention des risques sont réexaminés. Par ailleurs, certains assureurs se proposent de différencier les garanties en fonction de l’implantation des biens assurés…

La FNSEA a une position désastreuse. Pourtant le rôle des agriculteurs est essentiel…L’on se dirige vers « Une France sans paysans » comme le constatait déjà  il y a cinquante ans Henri Mendras (La fin des paysans, SDEIS, 1967). Il existe de sérieuses réactions parmi les agriculteurs contre la FNSEA (agriculture bio, ou raisonnée, empoisonnés du Roundup…)

Q : Le nucléaire, avantages et inconvénients ?

: Interrogation du monde économique : prédominance des actionnaires contre la Nature ? Efficacité des associations d’actionnaires agissant en AG pour le développement durable ?

: L’avantage de l’énergie nucléaire est qu’elle est « décarbonée ».  Dans les années 1970, en réponse à la crise du pétrole, choix du nucléaire par les pouvoirs publics et constructions, sans débat démocratique. Le débat sur ses enjeux est partagé aujourd’hui. A noter que la Cour des comptes estime impossible d’évaluer le risque nucléaire ainsi que  le coût du démantèlement de centrales. D’ailleurs, jamais on n’a démantelé complètement une centrale. Quant aux déchets, la solution retenue, non complètement éprouvée, consiste à les enterrer (Bures, en Meuse). L’Autorité de sûreté nucléaire contrôle et impose une mise à niveau des centrales françaises à de nouvelles normes, inconnues jadis, dont le coût s’élèverait à 50 Md d’euros. Autre constat, une notable perte de savoir-faire français dans le nucléaire car on n’a pas construit de centrale en France depuis 15 ans (EPR de Flamanville, coût passé de 3,5 Md € en 2007 à 12,4 Md en 2019).

Par ailleurs, il faut relever un fort mouvement anti éolien en France en raison des nuisances notamment esthétiques, sonores et magnétiques impliquées…

Q : Culture commune. A cet égard, que penser du Plan français. En effet, la confection des plans français (1946-1993) s’effectuait dans la concertation entre les acteurs politiques, économiques, sociaux, syndicaux… dégageant une sorte de culture commune?

R : La « planification écologique » est préconisée par certains (A. Lipietz, J-L. Mélanchon…). C’est un sujet de querelle entre les verts. Difficultés de la formule, par exemple en matière de transports, donc d’équilibre  entre les différents modes concurrents : le transport est responsable de 13% de la pollution…Par exemple, le transport maritime est plus polluant que l’avion.

L.S. déplore le caractère peu opérationnel et fragmenté de l’action écologique et insiste sur la nécessité d’une organisation sociale et opérationnelle écologique. Une vision nationale et non seulement politique est à mettre en œuvre en impliquant tous les décideurs. Les entrepreneurs sont des acteurs sur lesquels il faut compter pour leur action et pour la pénétration des idées dans la société (exemple de Vinci…). A cet égard, les choses progressent assurément.

: Au regard du climat, les côtes françaises sont peu de chose à côté des pays tropicaux.

R : Il faut revoir les critères de définition des PED (Pays en développement), rationaliser et adapter l’octroi des aides.

: Que penser des actions du mouvement « Extension-Rébellion » ?

R : Mouvement au mode d’action secret pour être efficace, sympathique pour certains, utile, mais parmi d’autres. Il importe de préserver la non-violence. En France, le mouvement est très anticapitaliste ; à cet égard, le débat capitaliste/anticapitaliste est d’ailleurs un débat très présent chez les jeunes ; en Allemagne, c’est  le débat entre réalistes et fondamentalistes qui est très aigu.

                                                                               * 

                                                                                                                             François COLLY