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03/02/2013 – Politiques de l’eau – Frédérique Coulée

Exposé
L’eau douce ne représente que 2,75% de l’eau terrestre. Seulement le tiers de cette ressource apparaît sous forme liquide dont 98% se trouvent dans les nappes souterraines. La ressource est donc limitée alors que la population et l’urbanisation croissantes ainsi que la diffusion des modes de vie occidentaux augmentent les besoins.
70% sont consommés par l’agriculture, 20% par l’industrie. De grosses disparités entre le Nord et le Sud mais aussi à l’intérieur de chaque pays. Las Vegas consomme 1000l/h contre 700 en moyenne pour les USA. 1 milliard de personnes sont sans eau potable. 60% des réserves mondiales sont dans 9 États.
Les « pays d’amont » disposent d’un avantage important: la Turquie contrôle 90% des ressources de l’Euphrate et 50 de celles du Tigre.
L’avantage peut venir de l’histoire : l’accord de 1929, sous l’égide de l’UK avantageait très fortement l’Égypte. Il poursuit encore ses effets malgré l’accord de 2010 pris sur initiative de l’Éthiopie avec les pays de l’amont pour le remettre en cause.
Le renouvellement de la ressource est très variable. Les pays développés sont aussi touchés. Pour mieux analyser le problème, le concept d’ « eau virtuelle » a fait son apparition dans les années 1990 pour évaluer l’eau employée pour la production de nourriture et de toutes sortes de biens. Il permet de mettre en évidence les transferts indirects d’eau : 1kg de blé nécessite en moyenne 500 l d’eau, 1kg de coton 15000 l, 1kg de viande de bœuf 15000 l etc.. .. En effet, même si l’eau n’est plus présente dans les produits, elle a tout de même été utilisée pour leur fabrication..
Comment faire face alors que l’ONU s’est fixé comme objectif de réduire de moitié en 2015 la population sans accès à l’eau potable et aux services d’assainissement? : Le gaspillage va devoir cesser : un yéménite devra réduire sa consommation par deux d’ici 2025.
De grands espoirs sont mis dans le dessalement qui pose néanmoins des problèmes : grosse consommation d’énergie et pollution (saumures).
La Chine a une stratégie de l’eau qui n’est pas neutre dans la gestion du territoire. On voit se développer la vente d’eau par bateaux (sacs méduses) entre les pays (entre la Turquie et Israël par exemple).
De forts enjeux stratégiques se dégagent, par exemple entre le Canada et les USA ou autour d’Israël qui mène une recherche importante sur la réutilisation des eaux usées. De gros enjeux sanitaires aussi où la capacité d’assainissement qui exige des investissements importants est décisive. Des enjeux environnementaux interviennent aussi avec la qualité des eaux souterraines et fluviales. L’évolution et la saisonnalité des ressources liées au réchauffement climatique (fonte des glaciers) vont modifier profondément le rapport à l’eau. Enfin les enjeux économiques et sociaux prendront de l’importance avec en arrière plan la lente maturation d’un droit à l’eau. La réflexion sur l’eau dans le cadre international a produit la convention du 21 mai 1997 concernant les utilisations des cours d’eau transfrontaliers autres que pour la navigation. Malgré le fait que la Commission du droit international ait travaillé pendant 20 ans à son élaboration, cette convention signée par 103 États n’est toujours pas encore en vigueur. Seuls 16 Etats l’ont ratifiée sur les 35 Etats nécessaires à sa mise en vigueur). Cela illustre la difficulté d’établir des accords intergouvernementaux régissant l’utilisation de l’eau. S’agissant des eaux souterraines, la réflexion a aussi produit la résolution des Nations Unies de décembre 2008. Elle est en grand pas vers la gestion durable des ces aquifères car elle propose aux pays concernés des critères de bonne conduite visant à limiter la surexploitation ou la pollution par un pays riverain.

Elle permet en outre de combler une lacune de la Convention des Nations unies de 1997 sur les cours d’eau transfrontaliers. Ce texte, rédigé par des experts en droit international, avait juste négligé, à son insu, 80% des eaux souterraines en ne considérant que celles qui étaient reliées à un fleuve international. Il a un caractère éthique et n’est pas contraignant.
Enfin la réflexion tourne autour du droit à l’eau sans arriver à avancer significativement : on en est toujours à la recherche d’une définition (quantité, qualité, distance…) dans des contextes très différents (public ou privé, inégalités d’accès…). En fait la rapporteuse préfère se concentrer sur l’étude d’un droit à l’assainissement.

Débat

Q1. Que pensez-vous du débat public-privé qui devient important en France ?
R. Les grands espoirs mis dans la gestion privée appartiennent un peu au passé. Par conviction politique, ma préférence va au public. Qui bénéficiera du droit à l’eau ? Question de prix. Une gestion publique rend plus aisée une politique sociale allant vers l’égalisation des prix.
S. Les coûts d’usage de l’eau sont naturellement très différents d’une région à une autre. Vouloir aller vers une égalisation par des péréquations ne peut que conduire à des absurdités en développant des consommations là où ces coûts sont élevés et la ressource insuffisante.

Q2. Vous parlez comme si l’État possédait l’eau, mais elle appartient aux communes. Il faut être plus précis quand on parle de gestion publique de l’eau.
R. En droit international, c’est l’État qui est propriétaire de l’eau.
S.1 Comment cela est-il possible si l’État ne possède pas l’eau ?
S.2 Il faut distinguer l’eau du domaine public dont l’usage requiert l’autorisation de l’État sous les espèces en France de VNF (Voies navigables de France), des eaux pluviales et des cours d’eau non domaniaux qui appartiennent aux propriétaires privés mais qui sont tenus de la restituer dans un état correct en aval. Par ailleurs l’État a décidé que la distribution de l’eau appartient aux communes qui peuvent la confier ainsi que l’assainissement à des entreprises privées par délégation de service public.

Q3. Quelles perspectives pour l’approvisionnement des grandes villes ?
R. Il faudra nécessairement recycler comme cela se fait à Singapour. De là à la boire sans réticence ?
Q4. Gestion des nappes souterraines et droit privé ?
R. En droit international le droit de l’eau souterraine est celui du sol.

Q5. France-Libertés poursuit une réflexion sur un nouveau type de tarification de l’eau avec un quota de base à très bas prix et le surplus à une tarification progressive.
R. Il faut mettre les prix en relation avec une utilisation rationnelle de l’eau et prendre en compte l’origine des pollutions. Les agriculteurs sont visés parce que l’agriculture est privilégiée.
S. Sans aller jusqu’à une uniformisation des prix sur le territoire, l’État devrait pouvoir imposer une structure de tarification.

Q6. Ne pourrait-on taxer les golfs et piscines… avec une tarification ad hoc ?
R. Il faudrait commencer par mettre un compteur sur les têtes de puits, ce à quoi s’opposent les agriculteurs.

Q7. Que prévoit le droit international pour les sociétés minières qui captent et contaminent les nappes si les États ne les contrôlent pas ?
R. Pas de réponse du Droit international sur ce point. Mais des conventions peuvent exister entre les États riverains d’un fleuve comme cela a été le cas pour le Rhin pollué dans la 2ème moitié du XXème siècle par les rejets de sel des mines de potasse (Commission internationale pour la protection du Rhin de 1950) et de l’industrie chimique.

Q8. Y a-t-il une convention internationale pour réguler l’ensemencement des nuages ?
R. Non. La Chine travaille activement les aspects techniques du sujet.

Q9. Comment avoir un contrôle plus démocratique des contrats de délégation de service public passés par les communes et assurer la transparence avec par exemple la présence de la population dans la négociation ?

S. Ce sont les élus qui ne sont pas élus pour rien qui contrôlent. Le maire ne peut signer sans autorisation du conseil municipal. Prévoir la participation de la population aux négociations ? Non. Mais les citoyens peuvent saisir la Cour des Comptes.
R. Forte mobilisation des ONG pour lutter contre la corruption (Water integrity network). Suez environnement ne sait pas faire face à la pollution due à l’usage des pilules contraceptives.

Q10. Qu’est-ce qui existe au niveau du Droit au plan européen ?
R. Une directive européenne s’appuyant sur la logique de « bassins hydrographiques est la référence dans ce domaine.

Q11. Ne faut-il pas promouvoir des accords régionaux ?
R. Beaucoup d’accords régionaux ont été inspirés par la convention de 1997 de l’ONU. Mais pas d’obligation de les mettre sur pied.

Q12. Pourquoi l’accord de 1929 sur le Nil ?n’est-il pas dénoncé devant une juridiction internationale ?
R. Déséquilibre des forces politiques en présence et théorie des droits acquis.

Q13. Pourquoi pas un OPEP de l’eau ?
R. Il y faudrait d’abord un marché international de l’eau substantiel avec un prix de marché !

Gérard Piketty