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03/01/2022 – Le monde au XXIème Siècle ? Jean Marie Guéhenno.

Autour du dernier ouvrage publié par J. M. Guehenno, Le premier vingt et unième siècle (2021)

Dans ce premier vingt et unième siècle, on est passé de la globalisation à l’émiettement du monde. L’Europe a raté le virage de l’après-guerre froide. Elle n’a pas réalisé son projet.

En 1989, on est au bout d’un cycle où l’on avait le sentiment que l’individu pouvait tout. La crise actuelle n’est pas seulement socio-économique. Quelle légitimité ont aujourd’hui les communautés politiques ? Les électeurs sont peu convaincus. Il y a une crise démocratique. « Pour que la démocratie soit possible, il faut une société »

Nous sommes dans l’âge des données, révolution comparable à celle de la diffusion de l’imprimerie. Cela bouleverse la légitimité des savoirs avec leur diffusion. L’âge des révolutions a été précédé par une longue crise des légitimités. Nous sommes dans une nouvelle ère de destruction créatrice.

1. La crise de la politique. La mondialisation fragilise les gouvernements, décrédibilise l’État, ce qui impacte d’abord les partis de gauche qui attendent que l’État soit protecteur. Quelle solidarité promouvoir ? Entre français, européens, une solidarité mondiale ? Cela remet en cause la triade Progrès, Paix, Prospérité. Il n ‘y a pas de société (disait Margaret Thatcher), il n’y a que des individus, chacun seul avec lui-même. Cela fait un monde invivable

2. La triade Marché/Élections/Réussite individuelle est brutale pour ceux d’en-bas, qui en tirent pauvreté et mépris de soi. Une méritocratie est pire qu’une ploutocratie affichée car l’échec  y semble mérité. Un tel monde secrète une réaction brutale et il n’y a pas de réponse politique sinon le fondamentalisme et un populisme sans projet collectif qui s’oppose aux élites, en mettant dans le même sac un chercheur et un milliardaire, avec en face tous les autres.

3. Les communautés territoriales nées avec les cités italiennes où on rencontre, sur la place du marché, de l’inopiné, du différent, sont fragilisées par la circulation des hommes, des idées, des capitaux. Les communautés virtuelles évacuent les opinions différentes.  On se retrouve entre soi puisque les algorithmes rassemblent entre soi en bulles fermées les communautés où l’on ne se frotte pas à la contradiction car pas de terrain commun. Cela donne une prime à la radicalité et l’illusion de l’égalité d’un nouveau rapport au savoir. Chacun devient émetteur de contenu, centre d’un petit monde dans l’illusion d’une démocratie directe. Avec les « like », on tisse les murs de sa prison.  Plus vous dévoilez vos opinions ou vos goûts, plus on vous enferme dans une bulle étanche avec les mêmes opinions.  Enfermés dans un méta-monde, plus de rencontre avec l’autre.

4. L’apparence de la démocratie du pouvoir va avec une concentration du pouvoir. L’internet des objets, la géolocalisation, les voitures autonomes, nous laissons partout des traces de notre vie, de nos actes, chaque instant génère des données. Les polices staliniennes ne sont rien par rapport à ce qui est permis aujourd’hui par le numérique quant à la manipulation de nos pensées. Les algorithmes auto-apprenants gèrent cette masse de données. L’intérêt commercial des GAFA est dans la polarisation, non la nuance. Ils tendent donc à la confrontation. Et en Chine, on fait la transition de Orwell à Huxley, du côté répressif (1984, Orwell) vers le Meilleur des Mondes ! L’IA redéfinit la fabrication du savoir .

5. La Chine et sa relation avec l’Occident. Allons nous vers une nouvelle guerre froide ? Non à cause de l’interdépendance commerciale mondiale. Dans nos démocraties dysfonctionnelles, il y a comme un désir de Chine… avec sa profonde tradition orientale du collectif. Avec le « crédit social », la Chine bâtit une dictature préventive qui fait des êtres qui ne sentent pas leur collier ( leurs chaînes) . L’enveloppe que nous habitons étant à notre mesure ne nous fait pas souffrir. On peut aller plus loin que Goebbels !

Nous voyons arriver un monde où la puissance des données est mise au service de divers radicalismes. D’où une violence émiettée de bulles qui se méfient les unes des autres. Pendant ce temps, aux USA, on s’inquiète d’offenser, on prend des précautions de langage. Les schémas de l’espace commun empêchent toute parole qui dérange, d’où un endormissement collectif. Je dis à mes auditeurs que je suis là pour les déranger !

Quelques pistes :

Questions :

Notes prises par Sylvie Cadolle.