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02/04/2007 – Quinquennat ? – François Colly, professeur de Droit Public

Exposé

Le quinquennat a été établi par la loi constitutionnelle du 2 octobre 2000 à la suite du référendum du 4 sept.2000. Le oui l’a emporté avec seulement 18% des électeurs inscrits.
Le septennat avait été retenu en 1958 d’une part parce qu’il était la règle des IIIe & IVe Républiques (La IIIe l’avait retenu pour une raison de circonstance : l’âge de Mac Mahon), d’autre part par le souci d’assurer la continuité de l’Etat, de dégager le Président de la contingence des élections législatives, enfin de renforcer sa fonction d’arbitrage.
En 1958, le mode d’élection retenu était celui de la IVème élargi à des conseillers municipaux (+ 100000 électeurs). De Gaulle voulait un président qui «dirige et conduise » la politique de la Nation. Le personnel politique, fondamentalement parlementariste, s’y est opposé et la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 a imposé pour la nouvelle Constitution la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale.
Pompidou a voulu venir au quinquennat et avait fait adopter un projet en ce sens par le Parlement le 10-9-1973, projet qui n’a finalement pas, dans l’hésitation, été soumis à l’approbation du Congrès.
Sur demande de Mitterrand, la question a été réexaminée en 1993 par le Comité consultatif pour la révision de constitution (Comité Vedel).
Les arguments en faveur du quinquennat étaient les suivants :
• Absence de mise en jeu en pratique de la responsabilité du Président, notamment en cas de référendum, alors qu’en démocratie, il ne peut y avoir d’autorité sans responsabilité ;
• L’élection au SU politise la fonction présidentielle et rend souhaitable un président politiquement plus engagé. Dès lors 7 ans représentent une durée excessive.
• Avec le septennat, les risques de cohabitation prolongée sont trop importants.
En faveur du septennat, le comité soulignait :
• Qu’il ne dénature pas les institutions ;
• Qu’il donne du recul au chef de l’Etat ;
• Que la fonction symbolique de permanence du président reste très forte ;
• Que la fonction d’arbitrage reste essentielle ;
• Qu’il assure mieux l’autorité de l’Etat sur le plan international face à une opinion très fluctuante ;
• Que le quinquennat affaiblirait davantage le PM, le président devenant un faux PM au pouvoir sans limite.
Le Comité, par 10 voix contre 6, a finalement recommandé d’en rester au septennat. Mais en 2000, Giscard d’Estaing, notamment en raison des trois cohabitations (1986-88, 1993-95 & 1997-202), a proposé l’adoption du quinquennat avec coïncidence dans temps des mandats du Président et de l’AN. Jospin, qui ne supportait pas la cohabitation et parce que cela faisait plus moderne, l’a accepté. Chirac, après avoir récusé le quinquennat en 1999, s’y est finalement déclaré également favorable pensant que cela faciliterait sa réélection en raison de son âge. D’où le référendum du 24-9-2000 qui l’a entériné avec une participation de 30%, et 60% de suffrages exprimés favorables au oui.
Partant d’une analyse dérisoire à courte vue des politiques du moment, la loi organique du 15 mai 2001 prévoyant la l’inversion de calendrier des législatives et de la présidentielle, a placé les élections législatives après la présidentielle : la gauche pensait alors que le succès de Jospin conduirait à un raz de marée rose à l’AN, la droite pensait pouvoir faire alors plus facilement son unité autour de J.Chirac.
Les élections présidentielles de 2002 ont écarté Jospin dès le 1er tour, et conduit au duel Chirac/Le Pen dans lequel Chirac l’a emporté. Les législatives qui ont immédiatement suivi ont amené une majorité absolue UMP (77% des députés).
L’insatisfaction des électeurs à la suite du duel artificiel des présidentielles a entraîné des réactions des électeurs lors des élections suivantes : le raz de marée PS aux régionales et le non en 2005 au référendum sur projet de traité constitutionnel européen.
En fait la fragilité du système instauré reste grande en raison de la versatilité du corps électoral, du risque d’un décès du Président, de sa démission ou de la dissolution de l’AN dans le cours de son mandat, ou encore, dans une moindre mesure, de celui de sa destitution. Pour y parer, il faudrait une autre loi organique compliquée prévoyant dans ces cas une nouvelle AN ou un nouveau président élu pour la durée restant à courir du mandat du président ou de l’AN.
Aujourd’hui la montée de Bayrou pourrait créer une situation nouvelle où aucune des deux grandes formations politiques dominant la scène depuis 1958 n’obtiendrait, avec ses satellites, de majorité claire à l’AN. On serait alors confronté à la nécessité d’une majorité de composition de durée incertaine affaiblissant le Président en tant que leader politique et faisant retourner, au moins pour un temps, dans un système parlementaire, d’ailleurs réclamé par les militants de la « VI e République » et le PS.
Les réformes proposées par les candidats : le débat sur les institutions est rentré dans le débat politique, mais ne constitue pas une priorité pour les électeurs. Pourquoi :
• Les énormes pouvoirs du Président sans responsabilisation (NDLR : autre que le risque de non réélection) ;
• La représentation très déformée du corps électoral à l’AN. Le découpage électoral qui date de 1985 est fondé sur un recensement, maintenant trop lointain, de 1982. Les minorités n’y sont par ailleurs pas représentées.
– Face à cela, N. Sarkozy ne propose aucun changement du mode d’élection des députés (NDLR : cf. son accrochage récent avec B. Hortefeux qui proposait d’admettre une part de proportionnelle). S. Royal semble reprendre les propositions du PS (rapport Bel) pour l’introduction d’une dose de proportionnelle (environ 10 % des députés), tandis que F. Bayrou prévoit que la moitié de l’AN soit élue à la proportionnelle.
– F. Bayrou et S. Royal souhaitent que le président ne préside plus le CSM. F. Bayrou souhaite supprimer l’art. 16 (NDLR : qui donne pouvoir au président de gouverner par décrets face à une situation d’urgence).
– S. Royal souhaite le mandat unique pour les députés (Le rapport Bel lui en recommande 2). F. Bayrou de même.
– Tous deux sont favorables à la suppression du 49-3 qui permet d’engager la responsabilité du gouvernement sur un texte, réputé adopté sans vote si la motion de censure déposée en réponse par l’opposition ne recueille pas de majorité (le rapport Bel la préconise aussi sauf pour les lois de finances et de financement de la SS). Ils sont aussi d’accord pour la suppression de la procédure du vote bloqué et de la possibilité de permettre au gouvernement de légiférer par ordonnances.
– F. Bayrou seul se prononce pour la dissolution automatique en cas de démission du Président.
– S. Royal souhaite la suppression du droit de veto donné au Sénat pour les révisions constitutionnelles et un redécoupage des circonscriptions des sénateurs avec plus de poids donné aux régions.
– Enfin F. Bayrou souhaite que le Garde des Sceaux soit élu à la majorité des 2/3 des voix de l’AN et qu’il soit le président du CSM.

Débat

Q1. Le 49-3 est important pour assurer la stabilité gouvernementale. Bien réfléchir avant de le supprimer.
Pourquoi ne pas laisser du temps aux manœuvres politiques entre l’élection présidentielle et les élections législatives et les rendre concomitantes ?
R. Le 49-3 a été effectivement indispensable pour Barre et Rocard. Il serait suicidaire de le supprimer. La majorité de la motion de censure n’est pas une majorité de rechange. Ceci étant, le système parlementaire britannique est meilleur et évite l’excès des pouvoirs du président.

Q2. – Pourquoi les électeurs qui ont voté Le Pen en 2002 ne le referaient-ils pas ?
– Une même date pour les législatives et la présidentielle ne « boosterait »-t-’elle pas la responsabilité citoyenne ? – La cohabitation de 5ans Chirac-Jospin ne suffit-elle pas à justifier le quinquennat ?
– Ne faut-il pas revoir le statut du vote blanc notamment dans la perspective d’un duel Sarkozy-Le Pen ?
R. – Les sondeurs sont déconcertés par le phénomène d’indécision des sondés et donnent des évaluations à + ou – 3%. Leurs estimations tiennent compte du phénomène Le Pen en 2002. Par ailleurs, Sarkozy est moins bloqué que Chirac à l’égard du FN.
– La coïncidence des deux élections serait trop brutale & donnerait une responsabilité considérable au corps électoral. Il ne pourrait pas, lors des législatives « corriger » ou atténuer le résultat des présidentielles. Ce serait l’aventure.
– On ne peut dire que la cohabitation Jospin-Chirac ait empêché Jospin et sa majorité de faire ce qu’ils voulaient même si, personnellement, elle lui était très pénible. – Un vote blanc n’est pas considéré comme un suffrage exprimé. Revenir sur ce point en comptabilisant les votes blancs permettrait certes à des électeurs de voter blanc plutôt que de voter Le Pen pour exprimer leur mécontentement ; il pourrait aussi déboucher sur une absence de majorité de votes positifs au 2ème tour.

Q3. Ne faudrait-il pas remettre à l’honneur le contrat de législature de PMF ?
R. Le contrat de majorité est hors institutions et politique. C’est un vœux pieux et, pour des raisons de changement rapide de conjoncture, les programmes ne sont jamais appliqués. Par ailleurs, l’Etat ne respecte jamais ses engagements.
S1. Nous avons pris le détestable pli au cours des années 80 de vivre à crédit sur le dos de nos enfants. Ne pas mettre le problème de la dette au centre du débat politique disqualifie les projets de contrats de législature qui n’en tiennent pas compte. NDLR : L’excuse d’une relance keynésienne par la demande, d’ailleurs contestée aujourd’hui par les économistes de tous bords, n’est pas sérieuse. Certains investissements de l’Etat peuvent être financés par l’emprunt à condition de sélectionner rigoureusement de façon « objective » les investissements admissibles à ce financement et de disposer d’une comptabilisation du retour sur investissement à affecter obligatoirement au remboursement de la dette qui n’existe pas dans les structures de la comptabilité publique. À défaut, c’est la porte ouverte au laxisme.
S2. Le contrat de législature pose d’énormes problèmes théoriques. Le mandat impératif n’est pas admissible…
R. Ce dernier est inconstitutionnel. Cela pose d’ailleurs un problème pour les « jurys citoyens » de S. Royal.
S3. Comment voter sans programme ?

Q4. La France a besoin de quelques réformes majeures qui ne peuvent être faites qu’avec un gouvernement très fort en début de quinquennat ou de législature.
S. Reste à savoir qui est le mieux placé pour les faire. Le gouvernement Raffarin a engagé la réforme des retraites d’une façon qu’aucun responsable n’envisage de remettre en cause aujourd’hui sauf aménagements secondaires pour assurer notamment un minimum pour les petites retraites.

Q5. Une dose de proportionnelle de 10 ou 50%, ce n’est pas la même chose. Que peut-on en dire ?
R. Le premier point est de savoir si les députés élus à la proportionnelle seront des députés en plus ou non. Si non, cela implique un redécoupage des circonscriptions difficile à réaliser et une diminution des circonscriptions difficile à faire voter. Les quelques dizaines de députés élus à la proportionnelle proposés par S. Royal correspondraient à des députés en plus. Cela serait moins évident avec 50% de députés élus à la proportionnelle. Existe par ailleurs le risque de voir sur les listes « proportionnelles » les noms de candidats difficilement rééligibles autrement.
Mitterrand avait introduit la proportionnelle intégrale en 1986 pour diviser & gêner la droite avec l’arrivée du FN à l’A. N. La droite revenue au pouvoir a adopté le retour du scrutin majoritaire. Les partis dominants auxquels conduit le mode de scrutin majoritaire n’ont en effet aucun intérêt à la proportionnelle sous réserve de mener des politiques qui contiennent, dans des limites acceptables, les extrêmes qui les débordent à droite et à gauche.
NDLR : Hors de ces extrêmes, les courants de pensée minoritaires ne peuvent se manifester au plan national dans ce mode de scrutin qu’aux premiers tours des élections nationales. S’il faut alors voter « utile », i.e pour un des partis dominants, pour éviter de donner une prise démesurée aux deux extrêmes, il devient difficile dans le jeu démocratique de trouver les repères utiles à une saine conduite de la politique du pays. C’est peu ou prou la perception actuelle de l’électorat, des verts notamment, après le traumatisme du 21 avril 2002.

Q6. C’est la première fois qu’un candidat a mis l’accent sur les valeurs tout autant que sur un programme. Le débat sur les valeurs, avec toutes les ambiguïtés que véhiculent les mots employés, n’a pas réellement eu lieu. Comment l’approfondir pour lui donner une substance politique valable ?

Gérard Piketty

« R » = réponse de l’invité. « Sn » = réaction de la salle