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02/04/2001 – Le couple franco-allemand est-il toujours indispensable à la construction européenne ? – A .Von Kagenec, journaliste

Les relations du couple F-A sont difficiles depuis 1945. Elles le sont particulièrement après le sommet de Nice car il inaugure de façon déterminante une nouvelle phase.

La France a eu en 1945 une victoire  » empruntée « . En 1954 elle fait échouer la CED à laquelle l’Allemagne tenait et était satisfaite de la voir divisée (cf. Mauriac :  » j’aime tant l’Allemagne, que je suis heureux qu’il y en ait deux « ) . De Gaulle, en 1958 et en européen lucide, voit la nécessité du couple F-A mais avec une France le dominant avec la bombe, sa position au conseil de sécurité et son pouvoir de contrôle sur l’Allemagne dans son ensemble.

Adenauer s’entend personnellement bien avec lui et clame (1966) que la  » patience sera toujours l’arme la plus forte des vaincus « . D’où le traité de l’Elysée de 1963.

Mais lors de la ratification, le Bundestag remet les choses en place en soulignant la priorité de l’alliance atlantique et de la protection US pour la RFA, la nécessité d’ouvrir l’Europe à la GB, l’égalité entre tout les membres de la CEE, discours que le général ne peut entendre. L’OTAN que la France quitte en 1966, reste encore une pomme de discorde. Le départ marque la fin des illusions qui sera suivie de crises et de réconciliations, avec un point de désaccord important : la PAC. Heureusement il y a des rencontres fréquentes qui créent l’intimité. Mais vient Erhardt que le général détestait , de même que Pompidou n’aimait pas Brandt. A l’amitié Giscard-Schmidt succède celle de Mitterand pour Kohl…jusqu’à la chute du mur de Berlin.

Les bases de la politique française s’effondrent. Finie l’Allemagne peureuse. Mitterand tente d’empêcher la réunification mais Kohl se réconcilie avec Gorbatchev. Berlin, capitale de Bismarck et de Hitler redevient la capitale. L’arrivée du saxon et anglophile Schroeder au pouvoir accentue les difficultés : il veut rendre son rang de leader à l’Allemagne de 80 millions d’habitants et l’obtient à Nice. Les divergences de vues entre Vedrine et Fisher (le  » joueur de flûte « ) sur l’avenir de l’Europe n’arrange pas les choses.

La France reste attachée à l’Europe de De Gaulle : une union de nations souveraines, indépendante des USA et de l’OTAN, amie des Russes.

L’Allemagne veut une fédération d’Etats avec un président élu, une constitution et une armée.

Nice a mis à jour les divergences et l’Allemagne s’en est tirée avec un léger avantage ( besoin de seulement deux pays votant avec elle, contre trois à la France pour bloquer une décision à la majorité qualifiée) : c’est la fin des la suprématie française et de la parité.

Qu’en dira l’avenir ? une chose reste sûre : le couple F-A reste le moteur indispensable pour l’Europe. L’Allemagne veut que l’Europe s’affirme économiquement, culturellement, militairement dans un partenariat avec les USA. C’est à prendre ou à laisser, mais cela peut donner du bon.

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Débat

August Von Kageneck estime que la France doit comprendre que l’Allemagne se sent devenue un autre pays alors que les allemands pensaient que la séparation RFA-RDA était définitive. De nouveaux leaders lui seront sans doute nécessaire. Pourquoi pas Bayrou ?!!

A la question de la contradiction entre le désir allemand d’une Europe forte et l’acceptation d’une quasi-dépendance militaire vis à vis des USA, August Von Kageneck répond par la force de l’habitude et l’avance US  » tellement grande  » (transport de troupes, satellites etc..). La culture très anglo-saxonne de Schroeder, issu de Basse Saxe, intervient aussi. Face à la nécessité, soulignée par un citoyen, d’une défense nucléaire stratégique nécessaire à une politique extérieure européenne, il réaffirme que l’Allemagne ne revendiquera jamais la bombe atomique.

Il réfute cependant une déviation possible du capitalisme  » rhénan  » vers un capitalisme anglo-saxon sous son égide et souligne que l’Allemagne a repensé son modèle social après la guerre alors que la France en est restée  » à ses vielles lunes  » avec beaucoup de syndicats et de rêves !  » Elle devrait nous imiter « .

Il estime que la mise au point d’une constitution européenne est facile et que les allemands y sont favorables alors que certains remarquent qu’en France cela reste pour la plupart une abstraction peu réaliste.

En réponse à une question sur les complexes de l’ex RDA vis à vis de la RFA et son hostilité à une adhésion de la Pologne à l’UE, il pense qu’il ne faut pas noircir le tableau : un énorme effort est fait en faveur de l’Allemagne de l’Est (150 GDM/an soit 7% des revenus de chaque allemand de l’ouest). Si les  » Ossies  » sont xénophobes ils admettent l’élargissement de l’Union aux pays de l’est ( le pli avait d’ailleurs été pris avec le pacte de Varsovie).

Il reconnaît aussi que le rejet par Bush du protocole de Kyoto sur le climat a donné une image très négative des USA aux allemands qui ont inventé les  » Grünen « .

Que pèse aujourd’hui le couple F-A face à l’ouverture de l’Allemagne à l’Est, à la fraîcheur des relations entre les dirigeants des deux pays et à une Allemagne réunifiée, désormais sans complexes ? Ne va-t-on vers une vraie crise du couple, d’autant qu’avec l’aide quelques satellites, l’Allemagne peut bloquer aisément les prises de décisions à la majorité qualifiée ? August Von Kageneck ne le pense pas, tout simplement parce que le couple est indispensable au projet européen et qu’il n’y a pas d’alternative : Schroeder ne croit plus en un couple alternatif avec la GB. Quant aux satellites, la France pourrait sans doute faire de même de son côté. Il faut espérer que de part et d’autre, on saura éviter de se livrer à ce jeu.

Ne met-on pas trop facilement la GB de côté alors que, comme elle, l’Allemagne et la plupart des pays européens privilégient l’alliance avec les USA ? Au fond, si la France admettait cette alliance, on pourrait avoir un moteur à 3 cylindres (Fr, All, GB) qui tournerait plus rond ! August Von Kageneck. ne le pense pas, le peuple anglais, à la différence de l’allemand, est fondamentalement hostile à l’Europe. Ce sont les milieux d’affaires et T.Blair qui poussent vers l’Europe.

Quid de l’intérêt de la  » Golf generation  » pour la politique ? August Von Kageneck remarque que le nationalisme n’a pas de prise sur la jeunesse allemande qui vit au diapason d’une communication facile avec le monde entier. Un certain agacement se manifeste à l’égard de la culpabilité liée à l’holocauste. Le projet d’un grand monument à Berlin en mémoire de l’holocauste est toujours repoussé. Les jeunes allemands veulent et vivent un retour à la  » normalité  » !

August Von Kageneck a épousé une française en 1959 et vit en France. Il a fait la guerre comme officier de la Wehrmacht à l’Est. Un de ses frères a été tué à Moscou tandis qu’un autre était pilote de chasse. Il rappelle l’enthousiasme des jeunes pour Hitler dans les débuts surtouts après les grandes victoires du début de la période 36-40, enthousiasme qui a fait place ensuite au désarroi. Il écrit actuellement un livre sur l’occupation de la France vue par les allemands.

Il appartient à une famille noble originaire de Strasbourg, longtemps tournée vers la France. Un aïeul a été brigadier à ma cour de Louis XVI. Aujourd’hui le berceau familial est à Muntzingen en pays de Bade. Marie-Antoinette y avait fait étape.

Gérard PIKETTY