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31/03/2003 - L'avenir des plus de 50 ans : une révolution ? - Serge Guérin, économiste, auteur du grand retour des Séniors Ed. Eyrolles 2002

Exposé

Des mutations sont intervenues dans la vision du pays sur les plus de 50 ans.

Des consommateurs à part entière : Dans les années 50-70, on parlait de vieux, de tristesse… il y avait une journée des vieux. Aujourd’hui le vieillissement n’est plus synonyme d’appauvrissement. Les vieux interviennent pleinement dans la logique de l’économie. Le développement du travail des femmes y a contribué. On parle désormais d’eux comme des « seniors » devenus des consommateurs à part entière : 55% du whisky distribué, 70% des campings cars ou encore 50% des Twingos (plutôt haut de gamme) sont pour eux. Ils sont encore peu présents dans la Pub, mais cela évolue.

Une révolution démographique : L’espérance de vie était de 46 ans en 1900, elle est de 76 ans à la fin du siècle et croît d’un an (de bonne vie) tous les 5 ans. Celle des femmes est supérieure de 7 ans à celle des hommes et celle des ouvriers de 10 ans inférieure à celle des cadres supérieurs. Le vieillissement de la population est relativement atténué en France en raison d’un taux de fécondité des femmes relativement élevé (1,9 enfants par femme contre moins de 1,2 en Italie pour un taux d’équilibre à 2,1). En 2050 la moitié de la population aura plus de 50 ans et aujourd’hui, il y a autant de plus de 55 ans que de moins de 20 ans. Néanmoins dans la tête des décideurs, la vieillesse est toujours à 60 ans, en décalage profond avec la réalité : une étude a montré que les plus de 75 ans s’imaginent, malgré tout de façon téméraire, 19 ans de moins que leur âge !

Les seniors sont devenus des acteurs essentiels de la vie politique et sociale : 30% des maires sont des retraités. 46% des membres des associations sont des seniors qui sont indispensables à leur fonctionnement. Ce sont désormais des adeptes de l’internet et ils sont très sélectifs dans leurs modes de consommation (bio par exemple). 1 électeur sur 2 a plus de 50 ans et sans doute faut-il voir là une cause de l’échec de Jospin qui n’a pas bougé sur les retraites.

 

Une nouvelle typologie des seniors s’est dégagée. En bref, il faut distinguer :

 

– les SETRA ou seniors traditionnels, rassurants, très conservateurs avant 75 ans, encore dans une culture d’épargne et d’héritage vis-à-vis des petits enfants ;

 

– les SEFRA ou seniors fragilisés physiquement ou intellectuellement par rapport à la modernité. 1,4 millions d’entre eux ont besoin d’une assistance et ont besoin de l’APA ;

 

– les Boobos ou Boomers bohêmes, certes minoritaires mais les plus agissants. On y trouve souvent une explosion du couple initial avec beaucoup de nouvelles unions et de jeunes enfants.

 

Cette situation soulève de nouveaux défis.

D’abord celui de satisfaire à un besoin énorme de nouvelles maisons de retraite (+ 15000 lits/an) secteur où il y a un besoin potentiel de 600 000 emplois d’ailleurs mal payés (6,006 Euro de l’heure pour une assistante de pension). Il y avait 1 million de retraités en 1950. Il y en a 13 aujourd’hui et ils seront 19 millions en 2030. Ensuite celui de sortir d’une culture bien ancrée de préretraite face à une coalition de toutes les parties prenantes qui n’hésitent à faire preuve d’une réelle schizophrénie : le senior consommateur Boobo est un « type » génial, plein d’un potentiel social intéressant. Le même, encore dans l’entreprise, est un nul qu’il est urgent de mettre de côté. En 1970, 2/3 des plus de 55ans restaient au travail. On en est à 30 % en 2003. Comment faire ? Il faut certainement repenser la formation continue alors que les entreprises ont fait le choix de l’arrêter. Il faut réfléchir à comment travailler plus longtemps. A défaut, il faudra cotiser beaucoup plus.

 

Débat

 

– Ne sous estimez-vous pas le conflit possible entre les générations : les 50-60 ans vivent très mal dans l’ensemble leur départ anticipé en retraite ?

 

– Les effets du baby boom de l’après guerre sur le ratio retraités/actifs sont très sensibles sur la période 2005-2030. Comment doit-on gérer cette « bosse » démographique qui fera peser, du fait de la répartition et à retraite inchangée, un poids considérable sur les actifs pendant cette période alors que ces retraités ont à l’inverse, du fait même de la répartition et d’une moindre durée de vie moyenne, bénéficié de taux de cotisation relativement bas pendant leur période d’activité ?

 

– Une société vieillissante est une société dont le dynamisme s’étiole par rapport à celui de société beaucoup plus jeunes, notamment du fait que les leviers de commande politiques sont largement aux mains de seniors conservateurs. Ne faut-il pas en schématisant, réduire d’une façon ou d’une autre le poids électoral des couches âgées pour affronter la compétition des sociétés jeunes des pays en émergence ?

 

SG : Il faut trouver une réponse souple au nécessaire allongement de la durée du travail dans l’ensemble, en prenant en compte la diversité des situations et des désirs.

 

– A partir d’un certain âge on n’a plus rien à perdre et cela libère le champ de la créativité chez les seniors. – Certes, mais on est là au cœur du problème puisque cette libération provient aussi et largement d’une retraite assurée dont le financement fait précisément problème aujourd’hui. Dans le même esprit, on peut dire que les régimes de retraite subventionnent lourdement le mouvement associatif en assurant les revenus de tous les bénévoles qui en permettent le fonctionnement. Est-ce bien normal et n’y a-t-il pas lieu de réfléchir à ce problème ?

 

SG : le système par répartition diminue l’anxiété des gens quant à leur future retraite. On est en France dans une culture de la répartition.

 

– Cela est à tempérer : la Préfon est par exemple un système de retraite par capitalisation à la disposition des fonctionnaires qui y adhèrent massivement. Par ailleurs, des études ont montré qu’au niveau de retraite actuel, un système uniquement fondé sur la capitalisation aurait de gros inconvénients car l’épargne générée dépasserait sensiblement les besoins du pays. L’équilibre souhaitable de ce point de vue serait en fait autour de 30% de capitalisation. Ne pourrait-on éviter une schématisation irréaliste et passionnelle en tout ou rien du débat ? Par ailleurs, à l’équilibre démographique, que l’on soit en répartition ou en capitalisation, le prélèvement annuel sur la richesse nationale pour satisfaire aux paiements des retraites sera exactement le même.

 

– Le système actuel fourmille d’inégalités générées progressivement au fil des ans par des décisions opportunistes et par l’effet des « droits acquis » alors que le contexte qui avait pu les justifier a largement évolué. Du fait de l’opacité et de la complexité qui en ont résulté, on se heurte à une quasi-impossibilité de le réformer. Ne faut-il pas, face à cela, refonder clairement l’ensemble des systèmes de retraites sur des bases « d’égalité » claires, simples et facilement perceptibles de constitution des droits à retraite ? En gros, on acquière des points de retraites tout au long de sa vie active et on les récupère pendant la retraite, ceci étant compatible avec un système par répartition qui est en fait une garantie contre l’érosion de l’épargne de chacun. Le coût d’acquisition des points peut être abaissé de façon objective pendant les périodes d’emplois dans des travaux pénibles. La valeur du point servi aux retraités est ajustée objectivement par un calcul actuariel à la date choisie pour le départ en retraite (pour une retraite prise tard, 70 ans par exemple, la valeur du point servi est nettement plus élevée). Enfin, on peut à tout moment liquider une partie des points acquis pour cumuler une petite retraite avec la poursuite d’un travail rémunéré, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

 

– Quid des différences entre secteur public et secteur privé ? Le « taux de remplacement » (rapport entre première pension et dernière rémunération) semble peu différent.

 

SG : Il y a 10 ans avant la réforme Balladur, l’écart était minime. Aujourd’hui sous l’effet de la réforme, il y a un écart au détriment du privé.

 

– Y a-t-il des études sur le désir de travailler plus tard ?

 

SG : Oui, elles mettent en évidence la crainte d’être le dindon de la farce !

 

– Notre société est encore très patriarcale. Pour faire travailler plus longtemps, il faut changer profondément la culture du pouvoir et de la relation au travail. Il y a un temps pour le pouvoir et un pour l’accompagnement.

– Pourquoi ne pas diminuer le temps de travail avec l’âge tout en maintenant un salaire complet, comme c’est le cas au Luxembourg ?

 

SG : Pourquoi pas, mais on y travaille nettement plus au début !

 

– Les enfants pèsent lourd dans la capacité de travail des 30-40 ans. C’est à partir de 40 ans voire de 50 que les femmes peuvent se consacrer davantage au travail.

 

– Il y a des inégalités importantes dans la situation comparée des professions libérales et des salariés, à l’avantage de ces derniers.

 

SG : Oui, mais au départ, il y a un choix politique délibéré de ces professions. Par ailleurs, il y a une inégalité homme/femme dans un rapport 60/40 liées aux ruptures professionnelles marquées dans l’activité des femmes, mais aussi du fait que celles-ci, chez les commerçants, sont rarement considérées comme des salariés pour éviter les charges salariales et patronales correspondantes.

Gérard Piketty

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