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05/11/2007 - Darfour : guerre coloniale ? - Marc Lavergne, géographe

Exposé 

Cherche-t-on vraiment à comprendre le problème du Darfour ? Tous les acteurs de la planète y sont présents : pays riverains, grandes puissances, ONG, activistes des Droits de l’Homme, agences de l’ONU, médias, multinationales, le pétrole…mais c’est un Darfour imaginaire qui se crée bien loin de la réalité des victimes et des agresseurs. La crise nous concerne mais en dit long sur notre façon de gérer les affaires du monde.
À la fin du XIXème siècle le Darfour est un sultanat indépendant vivant du trafic des caravanes empruntant la piste des « 40 jours ». Les différences ethniques n’y intervenaient pas. Le commerce des esclaves, des plumes d’autruche, de l’ivoire etc…en fait un État prospère. Les Anglais s’en emparent à la faveur de la 1èreguerre mondiale mais la mémoire de ce sultanat indépendant est toujours vive.
Géographiquement le nord-est est un désert de sable tandis que le sud une savane à acacias entourant un massif volcanique central culminant vers les 3000m abondamment arrosé par les pluies d’été qui en font un château d’eau pour les régions périphériques. Les villages y sont accueillants avec des vergers. Le Darfour exporte ainsi du bétail (bovins, chameaux vers Khartoum ou vers l’Egypte) et recèle un potentiel agricole dont le développement est néanmoins entravé par l’absence de voies de communication avec l’extérieur. Aucune route ne le relie à Khartoum distant de 1000Km.
Pour être mieux contrôlé, le Darfour est divisé en trois « régions ». Sa population a cru de 450000 au début du XXème siècle à 6-7 millions un siècle plus tard. Elle avait une grande capacité à s’adapter aux aléas notamment climatiques. Ainsi les Zaghawas (Tribus de la zone frontalière avec le Tchad) se sont imposés dans le colportage après la famine de 84-85 et ont capté le petit commerce jusqu’à Khartoum. Ils ont à cette occasion pris conscience de leur exploitation par les élites au pouvoir. L’attention du gouvernement soudanais et de ses élites issues de la vallée du Nil se concentre en effet sur le développement grâce à l’irrigation de la « Mésopotamie soudanaise » (vallée du Nil et pays entre Nil bleu et Nil blanc). Ils se désintéressent des régions périphériques où l’on ne trouve ni industrie, ni infrastructures, ni enseignement dignes de ce nom.
Du fait de la croissance de la population, mais aussi de l’installation dans les années 80s de groupes venus du Tchad où régnaient des guerres incessantes, l’insécurité est montée dans la région en raison d’une concurrence pour la disposition de terres de pâturages pour les nomades, de cultures pour les groupes sédentaires.
Les gouvernements soudanais par contrecoup des guerres tchadiennes, de la guerre au sud Soudan et des déséquilibres économiques, ont pris fait et cause pour les nomades, provoquant un rapprochement entre le Darfour « sédentaire » plutôt « africain » et non arabophone mais musulman et les rebelles du sud soudanais (noirs chrétiens animistes) pour mettre à mal les tribus nomades « arabes ». Il a ainsi ethnicisé les conflits tribaux entre nomades et sédentaires (des pauvres se battant contre des plus pauvres cherchant des territoires où s’installer) du Darfour conduisant à imputer aux nomades des choses qui les dépassent.
Dans les années 90s, un gouvernement islamiste sans assise solide nulle part et mené par des intellectuels ne connaissant pas grand-chose arrive au pouvoir et cherche à calmer le jeu et à se bâtir une assise par des promesses laissées sans suite. En 2002, le général Omar el Béchir, représentant les tribus du Nil, écarte Hassan el Tourabi et prend le pouvoir. Pressé par G.W Bush (suite 11-9-01), il accepte d’engager des négociations de paix avec les rebelles du sud Soudan. Craignant d’être l’oublié du pouvoir central et de ses alliés du sud Soudan, le Darfour se dresse le 10 février 2003 contre le pouvoir central.
Celui-ci ne pouvant compter sur son armée encore immobilisée au sud et composée pour beaucoup de soldats venant de régions pauvres (notamment du Darfour) et voulant montrer qu’il restait le maître au Darfour, se contente d’engager son aviation et de mobiliser contre l’insurrection des milices (les janjawids) issues des tribus nomades arabes du nord Darfour. Celles-ci font davantage de ravages dans les populations civiles que chez les rebelles du Darfour.
La guerre va durer ainsi 18 mois jusqu’à la « victoire » du gouvernement en mai 2004 (cessez le feu de Nyala) qui met fin aux grands massacres au prix de plus de 2 millions de personnes déplacées dans des camps. L’insécurité demeure. Pendant cette période, la communauté internationale ne bouge pas misant sur la fin des négociations de paix avec le sud Soudan pour ramener le calme au Darfour. On se défausse à bon compte sur la Chine.
Contrepoint à cette inaction, la plus grande opération humanitaire de tous les temps se déclenche à l’été 2004. 14000 humanitaires affluent pour nourrir et soigner les 2M de déplacés. Le passage au Darfour devient un must pour les politiques et les intellectuels branchés. La relative abondance d’eau, de nourriture, de soins, d’enseignement va créer des villes artificielles de plus de 100000 habitants, mises en état de dépendance totale et incapables de se reposer sur les ressources que traditionnellement les populations savaient trouver pour passer les crises et faire face aux famines. Tout est artificiel.
La force de 6000h de l’OUA créée en 2002 a posé plus de problèmes qu’elle n’en a résolus avec des soldats non professionnels, mal payés, mal au fait de leur mission. Sa mise sous tutelle de l’ONU prévue avec augmentation des effectifs à 25000h (payés à 80% par l’UE) risque d’être un fiasco pour l’ONU. Enfin l’accord passé en 2006 à Abuja par la faction rebelle de Minni Minnawi avec le gouvernement rebelle laissant de côté une trentaine d’autres factions ne sachant d’ailleurs plus quoi demander achève de compliquer l’imbroglio tout en étant finalement dupé par Khartoum qui vient d’attaquer un de ses villages le 7 octobre.
Le Monde du 13 novembre fait état de la dispersion des personnes déplacées dans des camps nouveaux et plus petits pour éviter la perte de contrôle des mégalo-camps transformés en bastions rebelles généralement « pro Abdel Wahid », le leader historique de la rébellion.

Débat 

Q1. Comment les négociations engagées en 2003 avec la rébellion du sud Soudan ont-elles joué finalement dans le processus alors que la paix devait ramener le calme au Darfour ?
R. Faute de sincérité de part et d’autre (la rébellion du sud continuant à rêver d’indépendance), une paix bancale n’a été signée qu’en janvier 2005. Entre temps le gouvernement soudanais avait entrepris de mater la rébellion du Darfour pour montrer qu’il restait le patron. Ce gouvernement de culture anglaise et très lié aux milieux d’affaires aurait été sensible aux pressions financières de la communauté internationale. Celle-ci a négligé ce levier devant l’intérêt du big business pour la croissance soudanaise (10% /an. Khartoum, nouveau Dubaï). Ceci traduit bien le double jeu de la Communauté internationale. Les janjawids prennent peu à peu conscience qu’ils ont été instrumentalisés par le gouvernement de Khartoum et cherchent à se rapprocher de certains rebelles par crainte de représailles ultérieures. Les occidentaux pensent pouvoir régler le problème du Darfour sans chercher vraiment à le comprendre.

Q2. Quel est le rôle du Tchad ?
R. Depuis 1960, tous les dictateurs tchadiens ont été soutenus par les français. Idris Déby est un Zaghawa qui est une ethnie très divisée ne représentant pas plus de 5% de la population tchadienne. Il a essuyé à plusieurs reprises des attaques de groupes arabes armés par Khartoum qui estimait injuste que les Arabes ne soient pas au pouvoir. La position de Déby est instable. C’est un homme faible incapable de donner des ordres à sa propre famille. Il n’a aucune autonomie vis-à-vis de la France. Il ne faut donc pas surinerpréter la politique tchadienne. N’jamena est une ville dangereuse. Il vaut mieux vivre au Darfour !

Q3. Comment se fait-il qu’une problématique au fond assez simple ne soit relayée par personne dans les ONG ?
R. Il est difficile pour un humanitaire sur le terrain passant ses journées à soulager la souffrance de prendre la correctement la mesure de la situation Soudan-Darfour dans son ensemble, d’autant que les Droits de l’hommistes se sont emparés d’un Darfour imaginaire qui le complexifie à leur manière.

Q4. Dans quelle mesure peut-on parler de génocide ?
R. Partir de la convention de 48 définissant le génocide est discutable car on a voulu tout y mettre. Dans les faits, il est difficile de parler de génocide au Darfour dans la mesure où le gouvernement n’y voit que des intérêts financiers ou purement politiques. Jamais les rebelles n’ont parlé de génocide**, pas plus d’ailleurs qu’au sud Soudan où il y a pourtant eu 4M de morts. 500 000 Darfouris vivent à Khartoum sans problème. On a à faire à un gouvernement très rationnel, très froid, suffisamment cynique pour mobiliser les janjawids à fin de créer des divisions. Le Darfour y est juste considéré comme un terrain possible pour du business.

Q5. Quid de la Chine ?
R. L’alliance entre Pékin et Khartoum est un signe des temps nouveaux. Pékin achète 65% de la production de pétrole (25 Mt/an. Objectif : 50Mt/an). On ne peut guère l’en critiquer. Il vend en échange des armes à Khartoum car l’ONU a bien imposé un embargo des armes pour les milices du Darfour mais pas pour Khartoum ! La Chine a laissé passer sans s’y opposer une douzaine de résolutions de l’ONU. Pourquoi n’ont-elles pas été mises en œuvre ? Mystère.

Q6. Il n’y a plus de guerre, seulement des camps de déplacés. Peut-on techniquement revenir en arrière ?
R. Le Darfour n’est pas tout entier à feu et à sang. 2/3 des gens sont restés chez eux. On ne peut revenir en arrière. On va arriver à une réconciliation avec des cérémonies. Le mode de vie sera plus urbain que par le passé. Il faut essayer de penser l’urbanisation des camps dans un contexte économique nouveau à mettre sur pied. Il y a un gonflement malsain de l’économie lié à l’entretien des ONG et de la force de l’ONU. Désenclavement, développement d’une industrie, télécommunications… Il faut faire émerger un nouveau modèle économique, puisque l’ancien équilibre activités pastorales/sédentaires, non viable, est la cause de la crise…mais difficile à faire tant que la Communauté internationale et l’OUA feront en fait le jeu de Khartoum.

Q7. Quid de l’Egypte, de la Libye ?
R. L’Egypte sous des airs de grand frère mais est absente du dossier. Le colonel gesticule et, comme l’Egypte, soutient le gouvernement par souci de légitimité mais serait heureux qu’il s’affaiblisse.

** voir « Un génocide ambigu » de Gérard Prunier

Gérard Piketty

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