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09/05/2016 - Politiques sécuritaires et démocratie - Jean Marie Delarue

Les politiques sécuritaires mettent-elles en péril les pratiques démocratiques ?

En Europe, certains gouvernements ont fait adopter des législations qui remettent en cause les principes de nomination des magistrats des Hautes Cours. La commission Européenne s’inquiète et met en œuvre des procédures de sauvegarde de l’Etat de Droit qui pourraient entrainer à terme une privation de leur droit de vote pour ces Etats. Mais on observe que, devant les attaques du terrorisme, la France a réagi à partir de 1986, en adoptant des législations de protection et que l’évolution actuelle, avec l’état d’urgence, conduit notre pays à enlever au juge ses pouvoirs de contrôle pour donner à l’administration des pouvoirs sans contrôle : en 1986, on allonge les gardes à vue à 4 jours pour les soupçons de terrorisme. En 1996, les perquisitions de nuit deviennent possibles en cas d’éventuelles « associations de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ». En 2001, on autorise les fouilles de véhicules sans procédure de flagrant délit. En 2006, on autorise les fournisseurs d’accès à Internet à conserver les données. En 2008, on crée la rétention de sûreté, la garde à vue passe à 6 jours. En 2014, on crée l’interdiction administrative de sortie du territoire et le délit d’«entreprise terroriste individuelle » en cas de consultation de sites djihadistes, repérages, interceptions de discussions, etc, on est donc en amont de ce qu’on peut qualifier comme terrorisme… En 2015, la loi sur le renseignement fixe un cadre légal à des techniques de surveillance (captations de sons et d’images dans des lieux privés) sans contrôle judiciaire. Le 22 mars 2016, loi « relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités et le terrorisme » arme les agents de la sécurité ferroviaire et étend la vidéo-surveillance. Et un projet de loi modifiant la procédure pénale pour la lutte contre le terrorisme est actuellement en discussion.

La Commission Nationale des Interceptions de Sécurité a observé que ses deux recommandations au Premier Ministre n’ont pas été suivies, et, ne souhaitant pas être associé à la loi en préparation sur le renseignement et les saisies de données, J.M. Delarue en a démissionné, jugeant que cette évolution n’était pas acceptable dans une société démocratique, avis partagé par J. Toubon, Défenseur des droits.

3 convictions :

–          la question du maintien de la démocratie ne se serait pas posée il y a 30 ans : effroyable évolution :« nous autres démocraties, nous savons désormais que nous sommes mortelles. »

–          Il faut prendre de la distance, dégager des lignes de force.

–          L’histoire ne repasse jamais les plats. Il n’y aura pas de retour aux années 1930. Les gens étaient hyperpolitisés, ce n’est pas le cas aujourd’hui.

On peut s’inquiéter dans notre fonctionnement démocratique :

1)° D’un changement des fondements de nos principes du Droit pénal et des procédures pénales. La sanction pénale avait 3 objectifs qui s’équilibraient : la protection de la société, la punition du coupable, la réinsertion. On multiplie les alternatives aux poursuites mais on accroît la place de la victime, le rôle du parquet.

L’objectif de protection de la société est renforcé par la notion de dangerosité. Il yaurait des gens dangereux ? par nature ? A partir de 2004, le régime pénitentiaire se cale sur la dangerosité des personnes. On dédouble le pénal : la répression d’un côté, la sûreté de l’autre qui ne se confond pas avec la répression d’une infraction. On revient avec le courant positiviste de la criminologie italienne de la fin du XIXème siècle selon laquelle il existerait « des orangs-outans féroces qui ne peuvent agir autrement ». L’objectif de réinsertion disparaît alors de lui-même. La sûreté s’épanouit alors et réclame d’écarter les « orangs-outans ». Et on vote des mesures de surveillance et de rétentions. La première loi sur la rétention de sûreté date de 1933 en Allemagne. Dans les pays anglo-saxons on a des mesures d’internement comme le « civil commitment » aux Etats-Unis. A Fresnes, on a conçu des locaux où rien n’est prévu de thérapeutique pour ceux qui subissent une mesure de rétention de sûreté.

Ainsi on sanctionne non des infractions, mais des comportements, et on garde le coupable à la fin de sa peine du fait d’un trouble grave de la personnalité.

L’idée est la prévention des comportements dangereux comme dans le film Minority Report, il s’agit d’arrêter les criminels avant le crime. Pour cela il faudrait :

–          détecter la dangerosité des personnes par des évaluations, des batteries d’indices comme informations sur les ascendants, les antécédents comme le préconise la proposition de loi d’Eric Ciotti sur l’éloignement des étrangers « présentant une menace pour l’ordre public ».

–          Mettre à part les dangereux : interdictions de fréquenter tel lieu, de sortir du domicile, imposition d’un couvre-feu, de déménager etc.

–          Mobiliser les citoyens pour surveiller les dangereux, assurer la paix sociale en signalant les assignés à résidence aux habitants.

–          Surveiller les communications. 5 Etats mettent en commun leurs renseignements et ramassent des milliards de données pour la NSA et les GAFA pour les utiliser, sans compter des officines privées non contrôlées. La démocratie périt de ces atteintes à la vie privée.

 

2°) On peut s’inquiéter de notre goût pour l’enfermement !

–          En 1979, il y avait 30000 détenus et 220 000 gardes à vue

–          En 2016, il y a 68 000 détenus et 450 000 gardes à vue, soit le double, sans lien avec l’augmentation de la délinquance puisque le nombre de poursuites a diminué d’un tiers.

Jusqu’en 2012, le nombre de malades mentaux hospitalisés sous contrainte a augmenté d’un quart tous les 5 ans depuis 10 ans avec des chambres d’isolement fermées de plus en plus utilisées. Dans les EPHAD aussi, les personnes âgées sont de plus en plus enfermées faute de personnel. On constate devant ces progrès des privations de liberté une grande passivité de la société.

3°) La Sécurité est devenu un thème politique majeur depuis le tournant de 1980, la loi Sécurité et liberté d’A. Peyrefitte. La puissance publique doit-elle s’engager à assurer ma sécurité, qui serait un « droit fondamental » du citoyen ? En fait le droit déclaré dans la Déclaration de 1789, c’est la sûreté du citoyen devant l’Etat. La sûreté, c’est de ne pas être emprisonné par l’Etat ! Mais les gouvernements voient leur action entravée par la crise économique, le chômage, l’Europe… Ils tirent leur légitimité de la baisse de la délinquance. Tous les 15 jours, on vend les bons chiffres. On instrumentalise les crimes, les affaires de sang. Les politiques vantent le fait qu’ils protègent les citoyens. La police prend dans l’Etat une place qu’elle n’a jamais tenue : on rend hommage aux forces de l’ordre, on augmente leur rémunération. Et en cela, il n y a plus de différence entre la droite et la gauche. L’opinion et les gouvernements désignent les ennemis en notre sein et les ennemis ont des lois qui s’appliquent spécifiquement à eux : le prédateur sexuel, les terroristes, mais aussi le fou ou l’immigré ? Or, la sécurité ne peut être autre chose qu’un horizon. La course à la mesure sécuritaire n’a pas de fin ! Et elle est gênante pour nos libertés.

Quels facteurs de résistance ?

–          Le goût du politique, la manifestation de janvier 2015, mais on n’a plus de cadre de représentation politique. Il y a des mobilisations sans traduction politique.

–          Le juge et le Conseil Constitutionnel ?

–          Les Conventions Internationales, la Cour Européenne de Strasbourg.

–          La Constitution. On veut pour la déchéance de nationalité changer la Constitution comme la Hongrie !

Questions 

Q : Le gouvernement ne doit-il pas être efficace devant de nouvelles formes de délinquance ? Ce n’est pas une lubie du gouvernement actuel. Il y a un mouvement de notre société vers la disparition du risque !

R : Les forces de police ont-elles été efficaces ? Les policiers sont arrivés très tard au Bataclan. Cette question du délai de réaction n’a pas été posée or notre arsenal répressif est suffisant. L’organisation de la préfecture de police est inchangée. Il y a trop de lien entre gouvernement et police aujourd’hui pour qu’un gouvernement ose critiquer sa police.

La délinquance sur les personnes a augmenté dans les années 1970, elle n’augmente plus. Mais l’Etat ne se justifie plus à l’ère du libéralisme triomphant que dans son rôle d’assurer la sécurité. Et c’est cette idéologie de la sécurité qui s’est répandue partout en Europe. Nous nous rapprochons des régimes autoritaires à la Poutine au nom de la sécurité. C’est le mot de Mussolini : « Tous les Italiens peuvent désormais dormir les fenêtres ouvertes, plus de criminalité  » Comment réagir au terrorisme ? En mettant des soldats partout ? Ce n’est pas Vigipirate qui nous protègera. Il faut que nous réfléchissions à comment mieux intégrer cette jeunesse et au vide de valeurs de notre société, les valeurs de la république ne sont pas mises en œuvre…

 

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