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06/11/2017 - Migrations, principes et réalités - Eva Ottavy

Cela fait plus de 20 ans que les politiques migratoires s’exportent hors des frontières de l’Union Européenne. 2015 fut une année charnière par le nombre important de migrants et les pays européens se sont sentis dépassés. De là date une véritable crise de l’accueil. Les pays européens de l’Est ont fermé leurs frontières et l’UE a mis en place des Hot Spot en Italie et en Grèce afin de faire le tri entre les réfugiés et les autres et a adopté une politique de relocalisation, c’est-à-dire une répartition équitable des réfugiés entre les pays européens. Mais cette politique a échoué du fait du refus de la plupart des pays membres de l’UE, mis à part l’Allemagne.

C’est dans cette logique que la politique d’externalisation s’est développée laquelle consiste à déléguer la responsabilité de la gestion des questions migratoires (accueil, asile, contrôle aux frontières extérieures de l’UE) à des pays tiers. Les objectifs sont de réduire en amont la mobilité des migrants vers l’UE et augmenter le retour des migrants refusés par l’UE.

L’UE passe des accords de politique européenne de voisinage (UE-Maroc du 26/2/1996, UE-Egypte du 25/6/2000, UE-Liban du 17/6/2002 etc.). Elle négocie des accords d’approche globale des migrations et des partenariats de mobilité en tentant de forcer les Etats partenaires à accepter des laissez-passer européens. Ces laissez-passer, se substituant aux laissez-passer consulaires, doivent permettre à l’UE et ses Etats membres de renvoyer les migrants déboutés dans leur pays, sans avoir besoin de solliciter le laissez-passer consulaire délivré par l’Etat d’origine du migrant.

Le processus de Rabat réunit depuis 2006, 55 pays d’Europe et d’Afrique ainsi que la CEDEAO sur la question des migrations. Deux axes se sont dégagés : renforcement du lien entre migration et développement et prévention de la lutte contre les migrations irrégulières et les crimes qui y sont liés.

Le processus de Khartoum lancé en 2014 se veut être un dialogue régional sur les migrations, mené entre l’UE, les Etats membres de l’UE et 9 pays africains de la Corne de l’Afrique et pays de transit. Ce dialogue se concentre dans un premier temps sur la traite des êtres humains et le trafic de migrants.

Les accords de réadmission (bilatéraux entre l’UE ou un Etat de l’UE et un Etat tiers) visent à obliger l’Etat tiers à réadmettre ses ressortissants en situation irrégulière dans l’UE.

D’une manière générale l’Europe exerce des pressions fortes sur l’Afrique et le Moyen Orient pour conduire les Etats de ces régions à adopter les lois réprimant l’émigration illégale, c’est-à-dire à criminaliser l’émigration. Et les moyens pour y parvenir passent par la conditionalisation de l’aide au développement.

En principe les accords de réadmission devraient passer devant les parlements nationaux et le parlement de l’UE. Or beaucoup de ces accords sont informels, qualifiés de « déclarations », ce qui permet d’éviter le contrôle parlementaire et juridictionnel. C’est le cas de la « déclaration UE-Turquie » du 18 mars 2016 laquelle prévoit que les personnes arrivées à partir du 20 mars 2016 depuis la Turquie sur les iles grecques sont renvoyées vers la Turquie, à moins de demander l’asile en Grèce et être déclarées recevables. La Turquie est donc considérée comme un pays tiers sûr, ce qu’elle n’est pas. En contrepartie la Turquie reçoit 6 milliards d’euros et bénéficie pour ses ressortissants d’une libéralisation des visas vers l’Europe. On sait que 93% des Syriens retenus en Turquie vivent sous le seuil de pauvreté, ont un accès limité à l’emploi (2000 permis de travail ont été accordés, pour environ 1 million de migrants) et par conséquent travaillent dans l’économie informelle pour survivre. Le travail des enfants est courant.

Cet accord informel avec la Turquie a été efficace : en 2015 il y avait 10 000 passages par jour. En 2017 50 passages par jour. Résultats : des camps de la désespérance en Turquie qui n’accepte aucune demande d’asile sauf émanant de ressortissants européens (!), et de nouvelles routes migratoires se mettent en place avec plus de risques pour les migrants, plus de bénéfices pour les passeurs et plus de morts.

Aujourd’hui de nombreux accords s’inspirent de l’accord informel passé avec la Turquie : pactes migratoires informels passés avec le Niger, le Nigéria, le Sénégal, le Mali, l’Ethiopie et les incitations à la réadmission de leurs ressortissants ou de personnes simplement passées par leurs territoires, sont financières : il s’agit de fonds directement pris sur les fonds destinés initialement au développement. Cet argent doit permettre à ces Etats de développer la biométrie aux frontières, de faire des campagnes de dissuasion à l’émigration etc.

Les accords avec l’Afghanistan sont également de simples déclarations, non contrôlées par les parlements et inattaquables devant les juridictions. Ces accords ne visent que le retour des déboutés du droit d’asile. L’Afghanistan est un pays en guerre et Kaboul est considéré comme une des villes les plus dangereuses au monde ce qui doit conduire à renoncer au renvoi. Et pourtant grâce à cet accord les renvois se font de différents pays d’Europe, au mépris de la sécurité des personnes et l’objectif est le renvoi de 80 000 personnes de toute l’Europe.

Le bilan de ces politiques de lutte contre l’immigration est lourd.

–          C’est d’abord un dévoiement du droit d’asile tel qu’il ressort de la convention de Genève de 1951 : les Etats européens se déchargent sur des Etats tiers du contrôle de leurs frontières amenuisant ainsi l’exercice du droit d’asile par les personnes en péril.

–          Les routes migratoires sont de plus en plus dangereuses, les passeurs se multiplient, les droits de passage sont de plus en plus chers et les routes sont de plus en plus mortelles.

–          Les politiques d’aide au développement sont conditionnées par l’acceptation par les Etats en développement de l’acceptation de politiques de contrôle à leurs frontières, d’un retour inconditionné des déboutés, ce qui est une manière de dévoiement de l’aide.

–          Des accords sont passé avec des dictatures (Soudan, Erythrée) donnant à ces Etats le pouvoir de contrôler le droit à migrer de leurs ressortissants que par ailleurs ils répriment ce qui est une perversion du droit d’asile.

–          Impossibilité de faire contrôler par les juridictions nationales et européennes les accords informels qui échappent également aux contrôles parlementaires.

Il est certain que si l’Europe a accentué cette démarche d’accords bilatéraux visant à sous-traiter à des pays tiers la lutte contre l’immigration irrégulière et la gestion de la demande d’asile c’est parce que ses Etats membres ont refusé le principe de relocalisation face à l’afflux de migrants en Grèce et en Italie. Et les politiques populistes qui émergent en Europe mettent en échec la solidarité fondatrice de l’Union. Il est regrettable que les migrants qui quittent des situations de guerre, de violence, de répression, d’oppression, de maltraitance, se voient opposer à leurs demandes de secours une réticence grandissante, résultat d’un égoïsme européen qui trahit ses valeurs humanistes fondatrices.

Christophe Deltombe

 

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