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06/02/2012 - Avenir de l'Europe ? - Jérome Vignon

Exposé

Avec le caractère chaotique de la crise de l’€, faut-il comme le suggère la lettre d’invitation un événement fort pour changer le système ?
C’est une approche très française de croire en le surgissement d’un concept différent pour sortir du chaos tout en notant que l’Europe en semble incapable ! Non, l’Europe n’est pas faite de concepts et de la recherche de personnalités charismatiques. Ce n’est pas ainsi qu’elle fonctionne.
Il faut d’abord remettre en perspective la crise de l’€. D’où nous vient-il ? Que signifie-t-il ? La quasi-totalité des pays de l’Union est aujourd’hui pour un renforcement politique de l’Union. Qu’est-ce qui a provoqué ce retournement ?
– L’€ est d’abord le fruit d’une évolution politique de longue durée engagée avec le rapport Werner de 1970 approuvé par la Commission en 1971, qui prévoyait l’établissement à terme d’une union économique et monétaire. Dans le fil de ce rapport, le SME (système monétaire européen) voit le jour en 1978. Le rapport Delors de 1989 relance enfin la dynamique qui aboutira au traité de Maastricht en 1992 et à la monnaie unique. Celle-ci était le fruit d’une nécessité : l’impossibilité de faire converger suffisamment les diverses économies de l’Union sans renoncement à l’autonomie des politiques monétaires ; et d’une condition, la réunification allemande et l’abandon du mark par la RFA (H.Kohl), soucieuse par ailleurs d’un ancrage solide dans l’Union pour éviter des tensions est-ouest.
– Il faut se rappeler ensuite que la crise des subprimes de 2007 n’était qu’un petit aspect du chaos international : l’ensemble du système financier international était alors à la dérive faute de régulation et de coopération d’autant plus nécessaire que l’économie s’était globalisée. L’UE peut afficher des résultats marquants :
• En matière de régulation des produits financiers
• Avec l’accord dit de Bâle 3 pour renforcer la résilience du système bancaire
• Avec la séparation des activités de dépôts-prêts et des activités de marché des banques
• Avec la taxe Tobin qui a fini par faire son chemin
• Avec le rôle de surveillance des risques systémiques confié à la BCE
Enfin à son niveau, Michel Barnier a fait un travail important sur l’organisation des marchés financiers en Europe et le système Commission-Conseil-Parlement européen fonctionne toujours.
La nouvelle posture des États membres pour plus d’intégration politique représente un changement profond par rapport à la posture triomphante d’il y a 10 ans l’on pensait que l’UE pourrait arriver seule à un leadership mondial sans toucher à ses institutions. L’Europe peut-elle être encore notre avenir ? Autrement dit, la manière d’être européens peut-elle être la solution de nos problèmes ? Saurons-nous maintenir la volonté d’avancer dans le respect des altérités ? Il faut pour cela intérioriser ce qui se passe chez les peuples angoissés et accepter de se faire confiance.
La posture de F.Hollande à l’égard du projet de traité européen apparaît comme une posture de combat vis à vis de l’Allemagne. Il ne faut pas sous-estimer ce qui a été fait au terme des 16 sommets d’urgence depuis 2010. Au départ on n’a pas pris au sérieux le problème grec. Puis on a pris conscience des dissimulations opérées pour occulter le problème de la dette grecque et de la nécessité d’une remise en ordre vigoureuse (1er chantier).
Au vu des effets domino possibles d’un défaut grec et de l’effervescence des marchés, on a ensuite mis en place le FESF pour éteindre un feu possible issu des trois pays les plus vulnérables : Grèce, Portugal, Irlande. Ce FESF sera mis en sommeil avec l’arrivée en juillet du MESF (mécanisme européen de stabilité financière) trois fois plus puissant pour prévenir d’autres incendies plus importants (2ème chantier). Enfin un troisième chantier, celui du projet de traité européen de stabilisation et de gouvernance, a eu pour objet de donner un signal fort sur le changement de gouvernance de la zone €.

Ces trois chantiers posent d’importantes questions qui nourrissent polémique et anxiété et amèneront progressivement à une 2ème génération de mesures possibles pour transformer politiquement l’UE. – La Grèce va-t-elle tenir le coup ? Les français trouvent qu’on leur en demande trop. Les Allemands ne veulent pas que les pays s’exonèrent de l’effort à faire en permettant à la BCE de racheter de la dette primaire des États. L’ordo-libéralisme allemand aligne simultanément droits et devoirs, seule façon de générer la confiance. Pour la Grèce, une sortie unilatérale de l’€ serait une catastrophe. Le mieux serait une mise en congé temporaire de la zone €. Pour y arriver, il faut d’abord passer par le traité.
– Mutualisation de la dette (Eurobonds) ? Une partie de la dette à venir (en dessous de 3% du Pib) serait dans ce schéma financée par des euro-obligations où La BCE pourrait ne pas traiter également pays vertueux et non vertueux. Barroso a étudié en détail cette possibilité. A. Merkel l’a refusée ou, en tout cas, met comme préalable la signature du traité pour aller plus loin dans la mise au point d’un package dit de 2ème génération.
En bref, on est entré à grande vitesse dans un processus d’intégration et on ne pourra s’arrêter à ce stade. La priorité n’est pas de définir un nouveau grand projet institutionnel qu’aucun pays n’est en mesure de formuler. Il ne faut pas s’accrocher à un rêve mais croire que l’essentiel est d’être ensemble européens. Il faudra un gouvernement économique rassemblant fiscalité et coordination des emprunts dans ses compétences Il faudra un protocole social (politique d’immigration et d’asile, développement durable, SEIG, accroissement de la capacité de la BEI à lever des emprunts …). Les politiques devront rendre compte de la façon dont ils ont été européens dans les négociations. Je suis frappé de l’efflorescence de nouveaux sites internet qui parlent de l’Europe : Vigie 2012, Fondation Schuman, touteleurope.eu, Notre Europe, decodeurs.blog.lemonde.fr, sites de fact-checking etc..

Débat

Q1. En vous écoutant, on se dit vive la crise ! La règle d’or ? Comment opposer des contraintes à des nécessités économiques ? Quid si les peuples se rebellent ? Scepticisme sur l’efficacité de l’Europe sur les petits projets : pour le FSE : 4 € dépensés pour 1 donné. 2 ans de délai pour une décision. A-t-on été assez pédagogiques vis à vis des nouveaux entrants ?
R. Il faut ne pas perdre de vue le cœur du projet européen indispensable pour exister ensemble dans le contexte mondial. Il faut faire la concession de la règle d’or aux Allemands. Elle est nécessaire pour faire un pas de plus. En acceptant un déficit primaire (hors charge des intérêts de la dette) jusqu’à 0,5% du PIB, elle laisse une place pour une relance. Par ailleurs, dans une UE bien coordonnée, il pourrait y avoir des relances plus ou moins différentiées en fonction des situations budgétaires, de même qu’on devrait coordonner les émissions monétaires. Le comité allemand des sages envisage la mutualisation possible des dettes en deçà de 3% du PIB et la CDU a dit qu’elle ne s’opposerait pas à ce que la BCE intervienne en cas d’ultime nécessité. La coalition d’A.Merkel est fragile et a beaucoup fluctué au gré des résultats des élections dans les Land. Il reste, qu’au delà de contradictions, elle a fait des pas qu’elle n’aurait jamais envisagé auparavant. Ne pas oublier que les Allemands ont souffert d’une récession de 5% et ont fait un effort important pour se remettre à flot en s’ouvrant sur le monde. Ce qui est arrivé au FSE n’est pas brillant. Il est largement dû aux errements de l’administration française. En revanche le FEDER (Fonds européen de développement régional) est beaucoup mieux perçu. Petite Europe, grande Europe. J’ai changé. Je pensais que l’élargissement avait été trop rapide. Mais c’était impossible politiquement de faire autrement. La pédagogie n’a pas été suffisante : oui, nous ne connaissons rien de notre histoire tchèque !

Q2. Où est l’exigence démocratique dans votre 2ème génération de mesures ? Les USA, la Chine et même l’UK croissent : croyez-vous qu’on ait le temps d’attendre que la BCE dise qu’elle achètera des dettes souveraines ? En vous entendant, on a l’impression que vous pensez qu’il vaudrait mieux que Sarkozy reste.
R. Il y a des progrès à faire dans la manière dont la démocratie française vit l’Europe ! Pourquoi un ministre ne devrait-il pas être comptable à Bruxelles de la façon dont on parle de l’Europe en France ? Mais il faudra aussi qu’un jour l’exécutif européen soit l’émanation du parlement européen.
Sur N.Sarkozy, non. Je ne critique la demande d’un approfondissement du projet de traité. Mais F.Hollande a fait peur avec le caractère agressif de sa démarche : « je demanderai l’abrogation du traité ». S. Il faudra le ratifier pour avoir le droit aux interventions du MESF.

Q3. Tout cela est bien difficile. J’ai d’abord défendu l’idée d’une Europe fédérale. Puis j’ai prôné pour un chef. Il est là (Van Rompuy), mais on ne le voit pas. Puis j’ai pensé au renforcement du PE. On était fier d’avoir réussi l’Espagne, le Portugal. Aujourd’hui c’est l’échec. Ne va-t-on pas vers une Europe à deux vitesses ?
R. J’ai parlé en termes de substance plutôt que d’institutions. C’était l’approche de J.Delors. Elle me plaît : faire quelque chose ensemble bien que nous soyons irréductiblement différents. Ce cœur est plus important que l’enveloppe institutionnelle. On n’avance qu’à force de grands de pied intergouvernementaux. On marche en crabe vers une intégration plus forte. Je l’accepte. On n’agit pas que pour ne pas être étouffés par les marchés mais pour être plus entendus au plan mondial et c’est une responsabilité vis à vis de nos enfants. Les européens doivent être à la hauteur du monde qui les entoure sans nous imposer au monde. L’Europe à deux vitesses ? Le terme ne me plaît pas. Il sonne comme si la 2ème vitesse c’est la seconde zone pour les nuls. Je préfère parler d’Europe à géométrie variable avec des coopérations renforcées. Je vous recommande le site « Vigie 2012 »

Gérard Piketty

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